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Reconnaître la pénibilité ne suffit pas Non classé

Avec la création du compte personnel de prévention de la pénibilité, la nouvelle réforme des retraites reconnaît que certaines conditions de travail dégradent la santé des salariés. Si la réforme s’applique dès le 1er janvier 2014, ce compte, lui, n’entrera en vigueur qu’en 2015 et ne sera pas rétroactif.

À compter du 1er janvier 2014, la durée de cotisation est portée à 43 ans même si l’âge de départ en retraite est maintenu à 62 ans. « Avec la politique de maintien à domicile, les résidents arrivent de plus en plus dépendants en Ehpad. Or, dès 55 ans, nos salariés sont usés. Si la réforme des retraites allonge encore leur temps de travail, ce sera la catastrophe ! Il faudrait avoir l’honnêteté de reconnaître la double pénibilité du travail effectué par nos salariés,  physique et mentale, car accompagner la fin de vie pèse de plus en plus sur les soignants », analyse Nicolas Martinet, directeur de l’Ehpad Saint-Antoine de Desvres dans le Pas-de-Calais. Même son de cloche au sein de l’Ufas (Union française des aides-soignants) : « Il faudrait pouvoir prendre sa retraite à 60 ans. Il est en outre nécessaire d’adapter les postes à l’âge des salariés en multipliant les aides techniques ou en permettant aux salariés de finir leur carrière dans un service impliquant moins de charges et de manutention. On pourrait aussi doubler les postes et organiser du tutorat pour les plus jeunes », suggère Denis Fischer, Président de l’Ufas.
Pour prendre en compte ces questions, la réforme prévoit qu’un compte personnel de prévention de la pénibilité soit activé dès que le salarié est exposé à l’un des dix risques identifiés par les partenaires sociaux. À savoir, des contraintes physiques découlant de la nature du travail : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles forçant les articulations, les vibrations mécaniques, l’exposition à des environnements agressifs tels que les agents chimiques dangereux y compris les poussières et les fumées, le milieu hyperbare (hautes pressions), les températures extrêmes, le bruit, certains rythmes de travail comme le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et enfin, le travail répétitif. Il apparaît clairement que certains postes en Ehpad répondent à un ou plusieurs de ces critères.

« Les problèmes au quotidien ne sont pas réglés »

Chaque trimestre d’exposition donne droit à un point sachant que chaque tranche de dix points peut être convertie en un trimestre de formation professionnelle pour se reconvertir ou de temps partiel avec maintien de salaire ou encore de durée de cotisation afin de partir plus tôt à la retraite. Toutefois, quelle reconversion offrir aux salariés « cassés », alors que les postes disponibles à l’accueil ne sont pas infinis ? Par ailleurs, tant l’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) que l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail ) semblent pour le moins prudentes. « La reconnaissance de la pénibilité induit une compensation qui ne règle pourtant pas les problèmes au quotidien. Qui plus est, cette reconnaissance peut nuire à l’attractivité de ces métiers qui ont besoin, bien au contraire, d’être valorisés », résume ainsi Ludovic Bugand, chargé de mission pénibilité et prévention de l’usure à l’Anact.

Stéphanie Marseille

 

Témoignage

« On encaisse plus facilement quand on a la possibilité de se reposer »

Petite commune rurale du Pas-de-Calais, Desvres n’offre pas un vivier en personnel très fourni. Toute absence au sein de l’équipe des 110 salariés de l’Ehpad Saint-Antoine devient dès lors forcément problématique. « Les personnes embauchées en CDD n’ont même pas le temps d’être totalement formées avant la fin de leur contrat, les équipes s’épuisent et nos résidents sont perturbés par le changement de visage, surtout l’été », déplore le directeur Nicolas Martinet. Pour enrayer ce turn-over et mieux gérer la fatigue des aides-soignantes âgées, le directeur a remplacé quatre personnes en temps plein par cinq salariés à temps partiel à 80 %. Les salariés les plus âgés peuvent convertir les 20 % du temps non travaillés en journées de repos supplémentaires. Pour les remplacer, la direction fait appel aux plus jeunes qui convertissent ainsi leur 20 % de temps disponible en heures supplémentaires. La démarche s’est généralisée à l’ensemble du personnel. Les plus âgés peuvent ainsi se reposer tandis que les plus jeunes accroissent leurs revenus en effectuant des remplacements. « On encaisse plus facilement quand on a la possibilité de se reposer », estime Nicolas Martinet.
Certes, le salaire s’en trouve diminué mais le climat social a gagné en qualité. « Un salarié peut être amené à remplacer un collègue d’un autre service et nous avons donc gagné en polyvalence et fluidité », observe Nicolas Martinet. Cependant, la véritable avancée de la démarche tient à l’accroissement de l’autonomie des équipes : « Chacun met en place son plan de travail et dispose d’un droit de regard sur son planning. En outre, les salariés peuvent effectuer deux échanges dans leurs horaires sans avoir à en référer à la hiérarchie. Ils se gèrent entre eux et cela contribue au bien-être des équipes. »

 

Quelques pistes pour gérer les carrières longues

« La première chose à faire, c’est de se saisir des outils prévus par le Code du travail tel que le document unique qui recense les risques professionnels et psychosociaux et enjoint d’adapter les postes de travail », rappelle Claude Bernard, Directeur associé chargé de mission stratégique RH à l’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux). « Mais là où les équipes s’y retrouvent le mieux, c’est quand la direction a mis en place une dynamique de management qui les implique directement. Certains gestionnaires d’Ehpad mobilisent les aides-soignantes et les AMP (Aides médico-psychologiques) dans une logique de gestion de projet. Ils sont chargés par exemple de l’animation  de groupes de travail sur l’usure professionnelle, l’organisation de l’établissement ou le devenir des Ehpad. Ces réflexions sont l’occasion d’exprimer des besoins d’évolution de carrière vers des lieux d’accueil de la petite enfance ou des MAS (Maison d’accueil spécialisée pour personnes handicapées) », explique Christophe Douesneau, chef de projet à l’Anap.

 

Les actions possibles

-> Entreprendre un diagnostic afiné des incidents pour mettre en place les aides techniques manquantes (lève-personnes, rails au plafond, bains renversants…).
-> Aménager les horaires de travail en évitant d’imposer le même volume à chacun.
-> Repenser l’organisation des locaux pour limiter les déplacements.
-> Rechercher la stabilité des équipes, une force de travail stable contribuant à rendre les postes de travail attractifs.
-> Instaurer un tutorat entre les plus anciens et les plus jeunes qui permet de soulager les premiers et de les valoriser.
-> Adopter un management d’écoute qui prend mieux en compte les difficultés concrètes des salariés, notamment le poids psychologique que représente l’accompagnement de la fin de vie des résidents.
-> Quand cela est possible, organiser des passerelles vers d’autres structures et des reconversions vers d’autres postes (accueil, animation). À défaut, inclure dans le planning des aides-soignantes et des AMP une « respiration » sous la forme de tâches totalement différentes.

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