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La révolution high-tech aura-t-elle bien lieu ?

Les établissements de demain devront-ils forcément avoir recours aux innovations technologiques pour assurer la prise en charge des résidents ? Si certains directeurs ont franchi le pas en misant sur ces outils pour améliorer la sécurité et le bien-être des résidents, d’autres se montrent encore septiques.

Dossier Alice Dumont

Quelle place pour les nouvelles technologies ?

Améliorer la qualité de la prise en charge, compenser la perte d’autonomie des résidents, garantir au personnel de meilleures conditions de travail : pour les concepteurs de gérontechnologies, les besoins en établissements sont nombreux.

Portes, volets et lits automatisés, systèmes de luminaires ou de chauffage pouvant être commandés à distance etc. La domotique – c’est-à-dire l’ensemble des technologies de l’électronique, de l’informatique et des télécommunications utilisées dans les habitations – a fait son entrée, ces dernières années, dans de nombreux établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes. Tout projet architectural de construction ou de rénovation d’un Ehpad comprend désormais ces équipements. Un investissement qui a un double objectif : renforcer le confort de vie et la sécurité des résidents et maîtriser la consommation d’énergie. Depuis une quinzaine d’années, c’est donc un nouveau marché qui se développe, celui des gérontechnologies. Les industriels rivalisent d’ingéniosité pour proposer des produits et des services destinés à compenser la perte d’autonomie des personnes âgées dans tous les domaines : santé, mobilité, communication, loisirs… Simples gadgets ou outils de demain pour les équipes des Ehpad ? « Il faut distinguer ce qui est de l’ordre des projets défendus par les chercheurs et les services commercialisables et commercialisées. Les gérontechnologies répondent déjà à de nombreux besoins : la visioconférence, la sécurité des résidents, la prévention des chutes, l’ouverture de l’établissement vers l’extérieur et le maintien du lien social. L’animation est un domaine où ­l’offre devient également intéressante avec, en particulier, une borne interactive musicale en libre service ou encore des logiciels destinés à prévenir ou ralentir le déclin cognitif lié au vieillissement. Les directeurs et les équipes des établissements sont intéressés par les dispositifs contre l’errance des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer grâce, notamment, à des systèmes de géolocalisation interne à la maison de retraite », explique Jérôme Pigniez, fondateur et animateur du site www.gerontechnologie.net.


Des technologies intégrées
dès la conception
des bâtiments.

Assistance ou déshumanisation ?

Pour Richard Saccone, président de l’Association solutions innovantes pour l’autonomie et gérontechnologies (Asipag), laquelle fédère et représente les concepteurs et fabricants de technologies pour l’autonomie, le marché des nouvelles technologies dans les établissements est prometteur : « Les Ehpad sont et seront confrontés à une situation difficile : prendre en charge un nombre croissant de résidents très dépendants ou atteints de la maladie d’Alzheimer avec des moyens, notamment en terme d’effectifs du personnel, insuffisants et des problèmes de recrutement. Les nouvelles technologies représentent un début de réponse à cette problématique et un moyen de renforcer la sécurité ainsi que la sérénité des personnes âgées, du personnel et des familles ».


L’offre de logiciels destinés à
prévenir ou ralentir le déclin
cognitif lié au vieillissement
se développe.

Toutefois, nombre de freins demeurent en ce qui concerne la diffusion de ces technologies dans les établissements. Au premier rang desquels, le coût financier de ces équipements mais également les interrogations concernant l’impact sur les pratiques de soins. « Les technologies ne sont pas destinées à compenser la pénurie de personnel. Les réticences ou les craintes de voir les équipes remplacées par des machines ne sont pas fondées. La technologie assiste et ne déshumanise pas la prise en charge des résidents. On n’automatisera jamais, par exemple, l’aide aux repas des résidents car c’est un acte de soins qui nécessite de l’humain. En revanche, il est possible de gagner du temps lors des toilettes des résidents grâce à la technologie. Enfin, mettre en place un système de vigilance assistée pour éviter la déambulation ou les chutes des résidents ne signifie pas pour autant que le personnel de nuit ne va pas effectuer ses rondes », assure Jérôme Pigniez. Et d’ajouter : « Ces nouveaux outils doivent être encadrés par des règles éthiques ». Une réflexion que devront mener aussi bien les technophiles que les technoseptiques.

Des questionnements éthiques

Le développement actuel des gérontechnologies en établissements a très vite donné lieu à des questionnements éthiques. En 2010, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a lancé un rappel à l’ordre concernant l’utilisation du très médiatisé bracelet anti-fugue Alzheimer. Si la Commission a validé l’intérêt du bracelet électronique, elle a mis en garde contre le risque d’une surveillance excessive de la part des salariés des Ehpad ; le défaut d’information des résidents, de leurs proches ainsi que des salariés en matière de droits des personnes concernant ce type de dispositif ; et enfin, le manque de sécurisation des données. Jérôme Pellissier, écrivain et chercheur en psycho-gérontologie, a été l’un des premiers à ouvrir le débat et à insister sur l’urgence de proposer un cadre juridique adapté à l’usage des géron-technologues :« Les questions éthiques les plus complexes et délicates vont se poser dans le champ gérontologique dès lors que l’on envisage l’utilisation de certaines technologies avec des personnes qui ne peuvent ni les comprendre ni les choisir ni y consentir. À partir du moment où ces technologies peuvent représenter une atteinte à la liberté, à la vie privée, à l’intégrité et, plus globalement, aux droits de la personne, nous sommes obligés de les passer au crible de plusieurs questionnements. Ainsi, pouvons-nous légalement porter atteinte aux droits de la personne ? La technologie améliore-t-elle la santé, le bien-être et la sécurité de la personne ? Existe-t-il d’autres procédés moins attentatoires ? ».

 

Ehpad Lassère (Hauts-de-Seine)

« Développer le lien social vers l’extérieur »


  Les personnes âgées ont la possibilité de communiquer
par webcam avec leur famille.

Inauguré en 2010, l’Ehpad Lassère à Issy-les-Moulineaux (92) a fait, dans ses nouveaux locaux, la part belle à la domotique. Quant au projet d’établissement, il mise en partie sur l’apport des nouvelles technologies pour créer et maintenir les liens sociaux des résidents.

« Dans nos équipes, nous essayons d’avoir des personnes qui ont le goût des nouvelles technologies ». Pour Cécilia Zafari, directrice de l’Ehpad Lasserre à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le doute n’est pas permis : les innovations high-tech sont un réel atout pour les structures d’hébergement des personnes âgées dépendantes. Dans les nouveaux locaux de l’établissement, inaugurés en 2010, la domotique occupe une place non négligeable pour assurer un meilleur confort de vie aux résidents. « Nous avons fait le choix de serrures à badge car les résidents perdaient régulièrement les clés de leur chambre. Toutes les salles de bains sont équipées de robinets à cellule infrarouge et de radars qui permettent d’allumer les lumières automatiquement. Cela permet de prévenir les chutes et de contribuer aux économies d’énergie », explique la directrice de cet établissement public. C’est surtout au niveau de l’animation que l’Ehpad Lasserre a choisi d’investir dans les nouvelles technologies. L’établissement dispose en effet d’un studio de production audiovisuelle complet. Une chaîne d’information diffusée en interne a également été créée. Elle permet de communiquer aux résidents l’actualité de la résidence et de la commune.

Rencontres intergénérationnelles

« Dans le cadre de notre projet d’établissement, nous essayons d’utiliser les technologies pour développer les liens sociaux des résidents et l’ouverture vers l’extérieur. Les personnes âgées ont la possibilité de communiquer par webcam avec leur famille, leurs amis ou d’autres personnes. Des ateliers d’initiation à l’internet et à l’audiovisuel sont organisés en partenariat avec des centres de loisirs et les écoles de la ville. Cela favorise les rencontres intergénérationnelles. Les résidents atteints de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés ne participent pas à ces activités. Des animations plus adaptées leur sont proposées. Il n’empêche, dans les années à venir, de plus en plus de résidents auront pratiqué, dans leur vie personnelle, les nouvelles technologies avant de rentrer en établissement. Il est donc normal de s’inscrire dans cette tendance », justifie Cécilia Zafari. En matière de financement, l’établissement a bénéficié d’une subvention du Conseil général et de fonds importants de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Un autre projet technologique est en cours de réflexion au sein de l’établissement. « L’Ehpad Lassère est candidat pour participer à un projet de télémédecine avec l’hôpital européen Georges Pompidou. Si nous sommes retenus, cela nous permettra de parfaire notre pratique de soins et de prise en charge et donc de réduire les hospitalisations des résidents », souligne la directrice. Réponse dans le courant de l’année…

Ehpad St-Jacques et St-Christophe (Calvados)

« Améliorer la sécurité des résidents »


Il existe de nombreux dispositifs d’alarme,
du pendentif, comme ici, aux montres
comme à L’Ehpad St-Jacques et St-Christophe.

Les 74 résidents de l’Ehpad Saint-Jacques et Saint-Christophe à Cesny-Bois-Halbout (14) portent à leur poignet une montre pas comme les autres. Ce petit bijou de technologie permet en effet d’alerter le personnel en cas de chute, de problème de santé ou d’errance pour les malades d’Alzheimer.

Une simple montre peut-elle améliorer de façon conséquente la prise en charge des résidents ? Oui, à en croire Stéphane Tillard, directeur de l’Ehpad Saint-Jacques et Saint-Christophe à Cesny-Bois-Halbout (Calvados) : « Nous avions effectué un diagnostic pour renforcer la sécurité des résidents en lien avec le projet de l’établissement, le document unique d’évaluation des risques professionnels et l’enquête de satisfaction. Les personnes âgées disposaient d’un appel malade au-dessus du lit dans leur chambre. Mais en cas de chute dans le couloir ou dans le jardin, il nous fallait avoir un moyen de réagir vite. Dans notre recherche d’un nouveau système d’alarme, nous avions quelques doléances. À savoir, un dispositif simple d’utilisation qui puisse entrer très vite dans les habitudes de vie des résidents.» En 2009, l’Ehpad a fait le choix d’une montre-alarme. « Cet équipement a réduit le stress du personnel et les risques pour les résidents. Il concourt également à la protection du travailleur isolé. En effet, les deux agents de garde de nuit disposent d’une montre. En cas de besoin, chacun peut, grâce à une simple pression sur le cadre, avertir immédiatement son collègue », explique le directeur de l’établissement. Et d’ajouter : « Le coût total de cet équipement s’est élevé à 60000 euros. La Direction départementale des affaires sanitaires et sociales y a contribué à hauteur de 22000 euros car la montre-alarme améliore les conditions de travail du personnel. Pour le reste, l’établissement possède des provisions et une trésorerie saine. Il n’y a eu aucun impact financier sur le reste à charge des résidents. »

Données physiologiques

Pour la trentaine de résidents atteints de la maladie ­d’Alzheimer ou de troubles apparentés, les montres sont munies d’un système pour diminuer les risques de fugue grâce à des bornes placées autour du jardin de l’établissement. Mais ce petit bijou de technologie fournit d’autres services aux équipes. La montre-alarme enregistre en continu des données physiologiques du résident (rythme circadien, température du corps…). C’est un moyen de prévenir une dégradation de l’état de santé et de rester vigilant, notamment la nuit.  S’il y a une altération de l’état du résident, une alarme se déclenche chez les soignants. « Ce système permet d’améliorer l’organisation des soins, précise Stéphane Tillard. L’équipe soignante peut, en analysant les données enregistrées, décider de reculer l’heure du lever du résident ou ajuster le traitement médical. »

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