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Joëlle Martinaux : “Il y a, pour 2015, d’énormes points d’interrogation, notamment sur les investissements” Non classé

Joëlle Martinaux

Joëlle Martinaux

Médecin urgentiste, 
Joëlle Martinaux est Présidente de l’Union nationale des 
centres communaux d’action 
sociale (UNCCAS). Pour 
Ehpad Mag, elle revient sur le rôle de cette institution et les grands chantiers qui attendent en 2015 les acteurs du secteur social et médico-social.

 

L’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas), en tant que représentant d’acteurs publics de proximité, est en première ligne de la réforme territoriale. Quel est votre point de vue sur cette dernière ?

Joëlle Martinaux : Nous sommes au cœur du débat. Notre objectif est de garantir une réponse sociale de proximité sur tous les territoires et de mieux faire reconnaître l’action des Centres communaux d’action sociale (CCAS), acteurs stratégiques et incontournables dans le domaine social. Il nous faut défendre leur existence face à une loi qui laisse envisager que les petites communes n’en auraient pas besoin et qui donne aussi l’illusion de conforter l’action sociale au plan intercommunal. Acteurs incontournables dans le domaine social, voilà qui n’est pas un vain mot. Les CCAS répondent à une véritable urgence sociale, accompagnent  les plus précaires, les plus isolés, les plus dépendants. Ils contribuent aussi largement à la prévention, notamment auprès des personnes âgées.

Une chose est à noter dans ce texte : le recentrage des Conseils généraux sur leurs missions de solidarité. C’est un point fondamental car ce sont eux qui déterminent par exemple l’habilitation à l’aide sociale. Il était important à nos yeux de conserver cette mission à l’échelle départementale car il y a une exigence de proximité quand on décide de l’attribution de prestations telles que l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA).

À leur niveau, les CCAS ont un rôle à jouer en termes de maillage du territoire et de coordination des actions sociales de proximité. Lorsqu’ils le font en partenariat avec l’ensemble des collectivités et des acteurs associatifs, ils ont un rôle de chefs d’orchestre. 

 

Concernant la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2015, avez-vous des craintes ?

J. M. : C’est un fait : il y a une augmentation des besoins d’année en année. Nous comptons 1,2 million de bénéficiaires de l’APA à ce jour. Et, en 2040, on nous annonce qu’ils pourraient être 
2 millions ! C’est forcément inquiétant lorsque l’on sait que la rigueur budgétaire est générale et que les financements des collectivités, notamment des Conseils généraux et des communes, diminuent. Nous sommes amenés à faire plus d’accompagnement avec moins d’argent. Il faut donc hiérarchiser les urgences et travailler sur des actions et des stratégies de mutualisation. Une réforme n’est jamais mauvaise quand elle oblige les différents acteurs à se remettre en question et à avoir des stratégies différentes. Mais ce qui est inquiétant et alarmant, c’est que, pour la première fois, nous nous retrouvons en 2015 avec un Ondam (Objectif national des dépenses d’Assurance maladie) médico-social égal à l’Ondam général alors qu’il a toujours été supérieur. En effet, il n’augmentera que de 2,1 % cette année contre 3 % en 2014. Nous avons aussi des inquiétudes sur l’aggravation des déficits du budget de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

 

Une question épineuse reste celle de l’attribution de la Contribution additionnelle de solidarité autonomie (Casa)…

J. M. : Nous avons là un fort mécontentement et une revendication à exprimer ! Une contribution censée participer au financement de la perte d’autonomie a été, à juste titre, mise en place. Or, seul 1/6 de cette Casa a été réaffecté au secteur. C’est vraiment regrettable car cette somme a bien été prélevée mais pas redistribuée pour les missions pour lesquelles elle l’a été. C’est une anomalie et une profonde injustice. Nous ferons entendre à ce sujet la position du GR311. C’est un point très important tout comme l’augmentation des crédits de médicalisation des Ehpad. Cela contribuera à des économies en évitant des hospitalisations de quelques jours ou des passages aux urgences. C’est une question de vases communicants : une économie sur les crédits de la Sécurité sociale tout en améliorant la médicalisation des Ehpad et le confort de nos seniors. Cela permettrait d’adoucir leur vie, d’éviter des traumatismes tout en désengorgeant les urgences et les services.

 

Quelle position adoptez-vous par rapport à la loi d’adaptation de la société au vieillissement ?

J. M. : En premier lieu, nous avons un grand regret : on parle de la prise en compte de la perte d’autonomie depuis un certain nombre d’années et, malheureusement, les textes à venir ne prennent pas en compte le cinquième risque comme il devrait l’être, certainement parce que cela représente un coût important. C’est pourtant un vrai sujet à aborder car la question deviendra plus lourde d’année en année pour nos territoires. Il ressort toutefois de cette loi des points positifs, notamment l’aide aux foyers-logements, en particulier pour leur rénovation et leur mise aux normes (10 millions d’euros financés par la CNSA en 2014). C’est indispensable pour renforcer l’accompagnement des personnes âgées, la prévention de la dégradation et des risques qui augmentent avec l’âge : chute, accompagnement au quotidien, repérage de troubles etc. En revanche, de grosses incertitudes demeurent sur les 40 millions d’euros inscrits dans le projet de loi pour la période 2015-2016. A ce jour, l’UNCCAS ne dispose d’aucune garantie, ni sur le montant ni sur le fait que le plan d’aide à l’investissement des logements-foyers sera bien consacré à ces derniers.

 

Quelles actions les CCAS mènent-ils en matière de prévention et de fragilité ?

J. M. : La prévention concerne tous les domaines mais il faut cibler un certain nombre d’axes comme la perte d’équilibre et les chutes, par exemple. Cela passe notamment par une bonne alimentation, ce que n’ont pas toutes les personnes âgées, mais aussi par le fait de travailler l’équilibre notamment par la marche et l’exercice physique. Or, une personne avançant en âge a tendance à moins bouger. En fait, notre rôle est d’être vigilants quand une personne se retrouve de plus en plus isolée, commence à décliner et à se replier sur elle-même. Nous tentons de la « rattraper » à temps. Il y a aussi le volet, tout aussi important, de l’entretien du moral : une personne dynamique et qui a des projets a toutes les chances d’être en meilleure forme. Enfin, il y a le volet économique qui permet de mettre à l’abri et d’accompagner le plus longtemps possible des personnes en situation précaire. Et nous savons que nos personnes âgées le sont à l’heure où la retraite moyenne est de 1 200 euros par mois. Beaucoup ont un revenu inférieur à ce montant et le rôle des CCAS est de les accompagner : quand elles sont dans des établissements gérés par des CCAS, elles bénéficient d’un accompagnement total même quand elles n’ont quasiment aucun revenu. 

 

Vous demandez également l’instauration du forfait autonomie…

J. M. : C’est en effet un autre point qui nous semble important. Cela rejoint l’accompagnement de la prévention de la dégradation pour éviter ce fameux syndrome de glissement. Parfois, en effet, de manière paradoxale, on contribue à isoler les personnes âgées en les faisant partir de chez elles, en les plaçant dans un nouveau cadre de vie et en les éloignant de leur famille ou amis. Il faut améliorer cela en introduisant dans ces structures d’accueil de la vie, de l’animation et de l’accompagnement. Mais, pour cela, il faut le financement qui va avec, ce à quoi contribueront justement ces forfaits autonomie. C’est fondamental. Il faut d’ailleurs que ces forfaits bénéficient à l’ensemble des résidents et des établissements.

Nous tenons également à mettre en place un référent santé, en plus du médecin traitant et des infirmières libérales. Bien sûr, le relais doit très vite être pris par les structures de soins, notamment libérales, mais en phase intermédiaire d’urgence (par exemple, le week-end), cela permettrait d’enclencher tout de suite une veille médicale. En cela, un forfait soins, qui n’a rien à voir avec le forfait autonomie, me paraît important. Ce sont deux axes différents et l’un ne doit pas exclure l’autre : c’est là notre revendication.

 

En conclusion, comment appréhendez-vous cette année 2015 ?

J. M. : On a, d’un côté, des exigences de plus en plus lourdes et contraignantes quant à la gestion de nos établissements et, de l’autre, des absences de réponse et d’énormes points d’interrogation, notamment sur les investissements. Cela n’est pas pour nous rassurer. Mais nous serons au rendez-vous de toutes les réflexions. Et, quand nous ne serons pas sollicités, nous interpellerons. L’UNCCAS et les CCAS comptent dans le débat. En tant qu’acteurs de terrain, nous avons une analyse et une expertise à faire valoir qui sont nécessaires pour accompagner le mieux possible nos seniors. 

Propos recueillis par Camille Grelle

 


L’UNCCAS en chiffres, c’est…

4 000CCAS et CIAS (Centre intercommunaux d’action sociale).

47 millions de Français susceptibles d’avoir recours à une structure de l’UNCCAS.

Une implantation dans la quasi-totalité des communes de plus de 10 000 habitants, dans 80 % des communes de 5 000 à 10 000 habitants et dans près de 2 000 communes de moins de 5 000 habitants.

120 000 agents.


 

 

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