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L’Ehpad, appelé à dépasser ses fonctions Non classé

Péricard

PéricardÀ l’occasion de la présentation de son Observatoire des Ehpad 2014, en mai dernier, le cabinet KPMG a organisé une table ronde qui a permis de réfléchir à l’avenir des Ehpad à partir de la question générique :“Où les personnes âgées vivront-elles demain ?”.

Une fois de plus, l’Ehpad est attendu dans un rôle de ressource santé et de plate-forme de services sur son territoire mais aussi de lieu de dignité des personnes âgées en perte d’autonomie, en particulier celles atteintes de troubles cognitifs.

 

L’Ehpad ne peut plus être appréhendé comme une entité isolée de son environnement qui fonctionnerait en autarcie. Au contraire, il est appelé à devenir un épicentre, assure le Pr Gilles Berrut, Président du gérontopôle des Pays de la Loire : “En milieu rural, il est clair que l’Ehpad sera demain un lieu ressource santé, une plate-forme de services, un lieu où il y aura de la télémédecine et des professionnels de santé mutualisés (psychomotriciens, ergothérapeutes etc.). Il sera davantage acteur en étant le réceptacle de fonds de l’ARS dans le cadre de cette mutualisation sur un territoire. Il pourra également être un endroit où l’on échange en prêtant ses locaux. Et, en ville, l’Ehpad fait partie d’un ensemble et doit bénéficier des apports de la HAD et des Ssiad.”

 

La technique au secours de l’humain

Dans tous les cas, la technologie devra être au service d’une plus grande humanité dans un contexte économique contraint : “On ne pourra pas enrichir les établissements en personnel de permanence de nuit car ils sont à bout financièrement, rappelle le Pr Berrut. Il faudra donc imaginer des plates-formes mutualisées de télémédecine de service de nuit afin que les aides-soignants puissent obtenir les réponses à leurs questions via un numéro vert. Ce n’est que lorsqu’il est possible d’assumer une fin de vie dans l’établissement que tout le monde comprend que ce dernier est solidaire des personnes. Si les patients gênent et qu’on les envoie ailleurs, on ne peut espérer que l’établissement soit une communauté de personnes.”

En somme, pour Benoît Péricard, Directeur national santé au sein de KPMG, se profile un changement de paradigme : “Il y a un apparent paradoxe entre, d’une part, l’effort à faire en interne au sein de l’établissement et, d’autre part, sa nécessaire extériorisation et son ancrage dans un territoire, en somme, la nécessité de sortir de ses murs. En effet, les Ehpad ont longtemps pensé que l’on ne pouvait pas faire l’un et l’autre. Or, aujourd’hui, on s’aperçoit que l’un va avec l’autre, que l’amélioration de la qualité en interne va avec celle en externe. C’est une nécessité pour la continuité de la prise en charge des personnes, en particulier lors de l’accompagnement de fin de vie.” Dans ces conditions, Gilles Berrut est convaincu que le contrôle qui s’exercera sur les établissements est appelé à être remodelé : “Il est possible que dans dix ans, ce ne soit pas l’évaluation de l’Ehpad qui soit faite mais celle de son territoire avec l’ensemble de professionnels qui interviennent tant au domicile et qu’en établissement.”

Cette nouvelle donne implique, dixit Benoît Péricard, “que l’État et les tutelles adoptent enfin une posture d’une part de cogestionnaires mais aussi d’évaluateurs et de régulateurs au sens le plus noble du terme en adaptant les financements à la réalité de la situation et à son évolution sur un territoire car on est arrivé au bout d’un système”. 

 

Un véritable lieu cognitif

“L’Ehpad est désormais un lieu de traitement cognitif, un établissement de santé cognitif et palliatif. On a découvert l’autonomie de la vulnérabilité (qui consiste à préserver au maximum la liberté du résident malade, N.D.L.R.) et c’est là un champ sociétal majeur pour demain. On va aller au bout de cette logique car on n’a pas le choix”, a fortiori “si l’on considère que l’Ehpad est la solution communautaire du vieillissement”, assure le Pr Berrut. Pour cela, il faut “ouvrir le champ de la perception cognitive du vieillissement. Nous ne sommes pas en train de fabriquer des unités de psychiatrie mais de créer de nouvelles entreprises fondées sur l’anthropologie de la personnes âgée, laquelle n’est pas simplement un adulte en dégénérescence qui avance en âge avec des rides. Nous devons être des accompagnateurs et les vicaires de la possibilité pour cette personne, qui a un fonctionnement cognitif particulier, de retrouver son autonomie, laquelle est la seule voie de sa dignité. ”

En somme, l’évolution du panel de résidents et la mutation qu’elle induit invitent à repenser la finalité même des établissements : “L’Ehpad  est de plus en plus le lieu d’accueil de personnes victimes d’un trouble démentiel. Le travail collectif consiste à permettre une resocialisation à l’intérieur d’un milieu protégé, affirme Gilles Berrut. Dès lors, on envisage complètement différemment la maison de retraite. Elle n’est plus le substitut du domicile comme résidence et lieu de vie mais un véritable lieu cognitif. On n’en est pas encore là mais on tend vers cela. Il y a vraiment un travail à faire en ce sens. Plus la technicité au domicile va augmenter et plus le travail de l’Ehpad sera cognitif. Or, il y a une révolution intellectuelle à faire car on n’a pas encore une connaissance et une compréhension complètes du syndrome démentiel. ”

 

Des filières au sein des Ehpad

Reste qu’un constat indique que c’est là la voie à suivre : “On s’aperçoit que dans les Unités cognitivo-comportementales (UCC), les personnes sont bien. En effet, le lieu de vie a remplacé le lob frontal (du cerveau, N.D.L.R.), lequel établit les stratégies. Il permet d’avoir des conduites sociales et de se projeter dans l’avenir. En somme, l’humanisation se fait par ce lob. Le lieu de vie permet au résident de bâtir une stratégie, une organisation et une relation aux autres. Il devient une sorte d’orthèse cognitive frontale.”

L’enjeu est crucial et appelle une nouvelle structuration : ”Ce qui se dessine, ce sont de véritables filières à l’intérieur des Ehpad car l’on est amené à prendre en charge la dépendance pendant des années avec des étapes et au sein de plusieurs secteurs : un secteur avec de l’animation, du confort et de activité physique ; un secteur avec de la stimulation cognitive et de la sécurisation ; enfin, un secteur avec de l’accompagnement renforcé jusqu’à la fin de vie.”

Et si les travaux préparatoires actuellement conduits par le Pr Jean-Luc Novella en vue de réformer les outils d’évaluation Pathos et Aggir étaient une opportunité à ne pas manquer ? C’est en tout cas l’avis du Pr Berrut qui milite pour une refonte du système : “Pathos a été conçu comme une sorte de T2A [Tarification à l’activité] pour Ehpad. Il faut que l’on change complètement de modèle afin d’avoir des financements qui accompagnent les filières internes et les trajectoires en Ehpad. Il faut distinguer, d’une part, tout ce qui est de l’ordre du travail collectif, qu’il soit cognitif, palliatif ou de l’animation, et, d’autre part, les caractéristiques des patients. Or, celles-ci ne sont pas une accumulation de comorbidités mais de véritables trajectoires internes. Si on ne fait qu’additionner les maladies pour prendre en charge une personne, on passe complètement à côté  de l’enjeu.”

 

Reconfigurer les établissements

Par ailleurs, une grande partie des établissements ont aujourd’hui plus de trente-cinq ans, d’autres entre vingt et vingt-cinq ans d’ancienneté, et n’ont pas encore réalisé les travaux de (re-)construction ou de réhabilitation requis. D’où une inadéquation croissante entre leur agencement interne et les caractéristiques de leurs nouveaux pensionnaires de plus en plus âgés et dont l’état de santé ne cesse de se dégrader. Si bien que l’on assiste à des scénarios ubuesques comme des ascenseurs trop étroits pour permettre aux résidents d’y entrer avec leur fauteuil roulant… Il importe donc de repenser totalement l’architecture des Ehpad afin qu’elle soit fonctionnelle, adaptée et surtout non figée. “J’attends une architecture beaucoup plus souple afin de pouvoir moduler et réorganiser les unités en fonction des besoins et donc d’assurer un équilibre de la prise en charge d’une population diversifiée en ayant plusieurs services au sein d’une même structure”, explique Virginie Jambon, Directrice d’Ehpad au sein du groupe Arepa. Et de préconiser des Ehpad “sur deux niveaux maximum avec, au-dessus, peut-être, des résidences-logements. Par ailleurs, il faut que la domotique nous accompagne dans les futurs Ehpad afin de faire baisser le nombre d’accidents du travail. Une maison de retraite doit également être plus souple en matière l’accueil et, par exemple, envisager le raccompagnement à domicile d’un résident qui souhaite mourir chez lui, ce qui est son droit.” 

Alexandre Terrini

 


Revoir les attributions du médecin coordonnateur

“En ville, le nombre de médecins généralistes qui interviennent dans les Ehpad est souvent important même s’il tend à se réduire. Et quand il faut en coordonner plusieurs dizaines, cela devient compliqué”, admet Benoît Péricard, Directeur national santé au sein de KPMG et partisan d’une refonte du système : “Quel rôle souhaite-t-on donner au médecin coordonnateur ? Ne faut-il pas revoir cette fonction de fond en comble et passer outre ? Cela pourrait simplifier certaines choses”

En effet, réglementairement, il est prévu que le médecin coordonnateur ne soit pas le médecin traitant des résidents. “Ne faudrait-il pas dépasser cette césure entre les deux fonctions ? demande Benoît Péricard. Je pense qu’il faut aller plus loin et trouver des solutions pour que le médecin coordonnateur puisse aussi être le médecin traitant quand, par exemple, en milieu urbain, le lien entre le médecin traitant et le résident est très distendu.”

Autre piste, “créer la fonction de médecin territorial de gérontologie car il y a un besoin de coordination entre les différentes structures pour assurer la fluidité du parcours de soins de la personne. Cette fonction serait a priori salariée mais elle pourrait aussi, pourquoi pas, être assurée par un médecin libéral. Elle consisterait à être responsable, au niveau global, de la personne âgée sur un territoire et non pas seulement dans un Ehpad ”,  précise Benoît Péricard.


 

 

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