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Restauration en Ehpad : d’un service à une priorité enfin reconnue Non classé

Restauration, alimentation, nutrition… : la perception et l’intérêt dont sont l’objet ces thématiques en Ehpad ont beaucoup évolué au cours des dernières années. Elles sont d’ailleurs devenues de véritables enjeux de santé publique et une réelle priorité pour les directeurs et leurs équipes. Mais si de nombreux efforts en la matière ont été faits, le chemin à parcourir est encore long.

 

« Une chose est sûre : il y a eu une vraie évolution sur le sujet de la restauration en Ehpad ces dernières années. On commence à s’intéresser à l’alimentation, constate Monique Ferry, gérontologue, nutritionniste et chercheur à l’unité d’épidémiologie nutritionnelle (Inserm-Université Paris 13). Beaucoup ne voyaient pas l’importance de cette thématique. Elle est pourtant fondamentale. » En effet, la restauration a longtemps été considérée en Ehpad comme un service parmi d’autres au même titre que la blanchisserie. Une conception qui tend heureusement à disparaître : « On a compris que l’aspect nutritionnel est une cause de morbidité puisqu’une diminution de la nutrition entraîne une diminution des défenses immunitaires et donc de l’état de santé général, poursuit Monique Ferry. Auparavant, on ne prenait pas en compte la prévention de la dénutrition et l’on se contentait de constater le diagnostic. Concrètement, on a enfin intégré qu’il n’est pas inéluctable de mal vieillir et que l’on peut être fragile et bien vieillir. »

En outre, d’un point de vue médico-économique, la dénutrition multiplie quasiment par deux le risque de réhospitalisation à 15 jours et augmente de 65 % le nombre d’épisodes infectieux. Plus encore, la mortalité en est multipliée par trois voire quatre. Enfin, la dénutrition augmente les coûts de la prise en charge hospitalière : on constate en effet des augmentations de presque 20 % des nouvelles prescriptions et de 30 % des coûts d’hospitalisation. Avec, à la clef, une augmentation générale de la dépendance et de la charge des soins et donc des coûts associés : « surveillance alimentaire et suivi des ingestats, aide à l’alimentation, prise en charge des plaies et escarres, prise en charge de la nutrition artificielle1 ». « Un sujet dénutri est beaucoup plus sensible aux maladies et au déclin cognitif, insiste Monique Ferry. Or, en soignant l’alimentation et la nutrition, en luttant contre les carences alimentaires, les résidents peuvent gagner trois ans de vie. Et surtout mourir d’autre chose que de dénutrition. »

 

Des idées reçues qui ont la vie dure

 

Reste que malgré les initiatives mises en place dans de nombreux établissements, la question de la restauration et de la nutrition est encore trop souvent l’objet d’idées reçues, voire d’erreurs aux conséquences gravissimes, s’alarme le Docteur Patrick Friocourt, gériatre, chef du pôle de gériatrie au Centre hospitalier de Blois et ancien Président de la Société de gérontologie de l’Ouest et du Centre (SGOC) : « On entend encore trop souvent dire que les besoins nutritionnels des personnes âgées sont, comme pour les enfants, moins importants que ceux d’un adulte. C’est totalement faux ! En théorie, à activité physique égale, les besoins sont égaux. Et je dirais même qu’il faudrait presque plus manger quand on avance en âge car les dégâts sont plus importants : la convalescence est beaucoup plus longue et la fonte des muscles très rapide ». Autre point sur lequel les experts attirent l’attention : le recours excessif aux plats mixés et aux Compléments nutritionnels oraux (CNO). Ainsi le Dr Jean-Marc Lecocq préconise-t-il « de ne modifier la texture des aliments que si nécessaire, jamais par convenance » et « d’avoir recours en dernière intention à des compléments nutritionnels oraux2 ». Un point de vue que partage Monique Ferry : « Mixé un jour ne veut pas dire mixé toujours ! Cela peut être nécessaire à un moment donné mais pas forcément dans la durée si la rééducation est possible. D’autant que cela peut entraîner une perte de l’habitude de déglutir laquelle doit, au contraire, s’entretenir comme n’importe quel réflexe. Le rôle des professionnels en Ehpad est d’aider les personnes âgées à s’adapter et se réadapter, en suscitant leur envie. »

Une envie qu’il convient encore plus de respecter fondamentalement en fin de vie, selon le Dr Friocourt : « Il faut alors laisser retrouver l’alimentation plaisir. Par exemple, je ne vois pas pourquoi refuser un gâteau sucré à un résident diabétique en fin de vie. Il en va de même pour certains régimes : si quelqu’un a mangé salé toute sa vie et que, du jour au lendemain, on l’en prive, comment vouloir qu’il prenne du plaisir à manger, voire qu’il se nourrisse tout court ? Il faut absolument avoir une vision de la diététique gériatrique qui ne soit trop stricte ni trop restrictive. Bien sûr, il y a des apports caloriques à respecter. Mais ce que l’on veut avant tout, c’est que les résidents mangent et qu’ils échappent à la spirale de la dénutrition. Sinon, la pente est extrêmement difficile à remonter. »

 

La restauration est l’affaire de tous

 

Fort heureusement, « cette approche commence à être adoptée dans de plus en plus d’établissements, se félicite Patrick Friocourt. L’alimentation et la restauration font désormais partie intégrante du projet d’établissement. » « En travaillant sur ce sujet, j’ai pu rencontrer au fil de ma carrière des personnes, certainement bien intentionnées, qui proposaient de préparer des plats aux saveurs exotiques en Ehpad ou encore d’introduire de la crème d’avocat ou autres, par exemple, explique Monique Ferry. Mais sait-on seulement que les résidents qui ont 80 ou 90 ans n’ont jamais mangé cela de leur vie et n’en veulent d’ailleurs pas ? Une illustration : lors d’une intervention dans un Ehpad, nous avions proposé à des résidents des kiwis, très riches en apports nutritionnels et qui étaient cultivés depuis peu dans la région. Pour expliquer comment ce fruit se dégustait, j’ai fait une comparaison avec un œuf à la coque. A la fin de ma démonstration, l’un des résidents m’a fait remarquer que je n’avais pas indiqué le temps de cuisson du kiwi ! C’est tout à fait révélateur : les personnes âgées réclament ce qu’elles connaissent et ont l’habitude de manger. »

C’est pourquoi il est nécessaire de bien connaître chaque résident, son histoire, sa culture, ses habitudes et de faire entrer l’alimentation dans le projet de vie du résident. C’est ainsi que l’on peut proposer la meilleure solution à chacun. Les familles et les proches ont d’ailleurs un rôle primordial à jouer, a fortiori lorsque le résident a du mal à s’exprimer : ce sont eux qui vont dire ce qu’il aime ou n’aime pas, ses habitudes culinaires mais aussi préciser son rythme alimentaire, l’ambiance dans laquelle il aime prendre ses repas etc. C’est pourquoi  toute l’équipe de l’établissement doit être mobilisée autour de cette problématique : directeur, cuisinier, auxiliaire de vie, infirmière coordinatrice, diététicien, ergothérapeute, kiné, orthophoniste, psychologue, médecins coordonnateur et traitant… Tous sont concernés par la problématique de l’alimentation.
« C’est l’affaire de tous, des bureaux à la cuisine, insiste  Monique Ferry. La formation est donc essentielle car tout le monde doit parler le même langage et pas en calories pour certains, en portion pour d’autres et en grammage pour les derniers. Tout le monde doit travailler ensemble. »  

 

1
Ces données sont issues du « Recueil d’actions pour l’amélioration de l’alimentation en établissements hébergeant des personnes âgées » publié par les Direction générale de l’alimentation et la Direction de la cohésion sociale (2014).

2
« La Dénutrition protéino-énergétique (DPE) dans les Ehpad est-elle suffisamment prise en compte ? Le niveau de prise en charge est-il suffisant ? », Jean-Marc Lecocq, Revue de gériatrie, mars 2015.

 

 


Pour aller plus loin

De très nombreuses fiches pratiques et thématiques figurent dans le « Recueil d’actions pour l’amélioration de l’alimentation en établissement hébergeant des personnes âgées » publié par la Direction générale de l’alimentation et la Direction de la cohésion sociale (2014).

– Outil Mobiqual nutrition/dénutrition/alimentation.

– Guide de l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) pour Analyser et réorganiser les tâches « nutrition-alimentation » en service de soins.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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