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« Il vaut mieux parler des conditions de la vie que de celles de sa fin » Non classé

E. Hirsch


E. Hirsch

 « Il vaut mieux parler des conditions de la vie que de celles de sa fin »

 

Dans son dernier ouvrage1, le Professeur Emmanuel Hirsch2 estime qu’il « faut reconnaître, sans la contester, la dignité d’une existence vécue jusqu’à son terme ». Il prône un « droit à mourir en humanité » et en appelle à « un modèle à la française » de la fin de vie. Il précise ici son analyse sur la démarche engagée par François Hollande.

 

  

Le Président de la République veut faire évoluer la loi sur les droits des malades et la fin de vie. Faut-il continuer à faire une loi spécifique ?
Pr Emmanuel Hirsch : Une loi spécifique à la fin de vie pose en soi des questions difficiles, notamment s’il s’agissait désormais de définir les règles d’une assistance médicalisée en fin de vie et qui porterait sur l’opportunité de légiférer sur le suicide médicalement assisté ou l’euthanasie. S’il convient de respecter les droits de la personne malade jusqu’au terme de son existence, nous disposons de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé. Rien n’empêchait de la réviser, comme on l’a fait pour la loi de bioéthique. C’est dans la continuité du parcours de soins qu’il importe d’intégrer l’anticipation de décisions concertées avec la personne malade, celles qui conditionnent l’engagement médical jusqu’à son terme. Avant d’évoquer le droit de la personne en fin de vie, rendons effectifs ses droits énoncés dans la loi de 2002. Ce à quoi aspirent les personnes malades, c’est que l’on se consacre à la continuité de leur parcours de soins, à la reconnaissance de leurs besoins et de leurs attentes afin qu’elles puissent vivre dans la dignité et en société ce temps si délicat et incertain de la maladie.

 

En deux ans, les contributions et rapports se sont multipliés sur ce sujet. Quels enseignements peut-on en tirer ?
Pr E. H. : Le cadre législatif actuel me semblait adapté : encore était-il nécessaire de développer l’information à son propos. Les circonstances de la fin de vie relèvent toujours de l’intime et de l’individuel. Une loi forcément générale n’est donc que peu adaptée dans un contexte à ce point personnel, sensible et délicat. Ce qui importe, c’est la pertinence du processus décisionnel, en concertation avec la personne et ses proches ou en fonction de ses directives anticipées. Toutefois, François Hollande a souhaité une évolution de la loi du 22 avril 2005 sur les droits des malades et la fin de vie. Il a su trouver la bonne approche pédagogique en suscitant un débat public et en consultant depuis les instances compétentes. Je rends hommage à cette prudence qui tient compte de la complexité des circonstances en fin de vie : elles relèvent d’une préoccupation politique et non strictement médicale. D’un point de vue éthique, il convient de mieux comprendre le sens de nos responsabilités auprès d’une personne confrontée à l’imminence de sa mort. Il n’y a pas alors en soi de bonnes réponses, si ce n’est de comprendre notre devoir d’accompagnement et de présence bienveillante car la personne souhaite ne pas être abandonnée. Les pistes retenues à la suite de cette concertation pour faire évoluer en certains points la législation française sur la fin de vie viennent d’être annoncées. Mais, on l’a compris, c’est en termes de mobilisation sociale, d’initiatives au plus près du terrain en institutions ou au domicile, d’acquisition et de partage de compétences que doivent désormais se comprendre à cet égard nos engagements citoyens.

 

Dans votre livre, vous invitez à « repenser la fin de vie et la mort également, en dehors des institutions de soins ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Pr E. H. : On évoque trop rarement l’impact péjoratif et humiliant des controverses sur la fin de vie sur des personnes malades ou atteintes de handicaps. Comme leurs proches, elles aspireraient avant tout à être reconnues pour ce qu’elles sont, avec leurs revendications politiques concrètes face à leurs difficultés quotidiennes. Le défi nouveau des maladies chroniques nous confronte à l’impératif de penser la place parmi nous de personnes atteintes de maladies évolutives sur un long temps. Si nous y ajoutons les aspects spécifiques des maladies neurologiques à impact cognitif, comme la maladie d’Alzheimer, quelles seront nos réponses sociétales ?  Penser le droit politique de vivre dans la dignité s’avère dorénavant plus urgent que de penser le droit à mourir dans la dignité. Vous aurez compris, je pense, qu’il vaut mieux parler des conditions de la vie que de celles de sa fin. Car les derniers instants sont pour beaucoup conditionnés par ceux qui les auront précédés.

 

Qu’est-ce que cela peut impliquer concrètement pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées, par exemple dans le contexte de la maladie d’Alzheimer?
Pr
E. H. : La représentation souvent requise pour évoquer les malades d’Alzheimer ou atteints de maladies apparentées est celle d’une vie qui n’en finit pas de s’étioler, de se consumer, de se rétracter jusqu’à ses extrêmes. Au point d’en paraître inhumaine et insupportable. Trop souvent les personnes sont accueillies en institution en fin de parcours lorsqu’un conjoint épuisé par des années de présence continue à leurs côtés n’en peut plus. Comment, dès lors, surmonter le défi d’une présence à l’autre qui ne se limite pas à la fonction d’un nursing n’apparaissant plus que comme la vaine prolongation d’une existence ayant perdu toute signification ? Peut-on évoquer sa fin de vie avec la personne, tant qu’elle le peut encore, alors que l’on sait qu’il s’agira d’un processus qui risque de la reléguer socialement dans la posture du déjà absent alors que la mort interviendra bien plus tardivement ? Dès lors, la question est de savoir comment la préparer et s’y préparer ainsi que celle du sens à donner au temps qui précède la mort.

 

Faut-il élaborer une éthique professionnelle autour de ces soins pour cette période spécifique ?
Pr E. H. : L’approche éthique incite à réfléchir constamment à la justesse du soin, à son acceptabilité, à ce qui le justifie afin d’éviter toute forme d’obstination ou de négligence. L’important est de fonder dans la concertation et la collégialité la décision que l’on prend en visant l’intérêt direct de la personne, ce à quoi elle aspire profondément, y compris de manière anticipée. L’approche se doit d’être respectueuse de la personne, de son bien-être et relever d’une prise en compte globale. C’est là où la démarche des soins de support et des soins palliatifs apporte les réponses les plus ajustées à des circonstances à la fois individuelles, complexes et évolutives. Le cadre est bien souvent celui de la conciliation des intérêts de la personne malade avec ceux de l’entourage et ceux de l’équipe de soins. En cas de perte du sens des finalités des soins, il faut craindre des tentations de renoncement faute de trouver les repères indispensables. Evidemment, dans ce domaine, les facteurs qui influent sur les pratiques ne sont pas homogènes et tiennent à des éléments à la fois contextuels, subjectifs et instables. C’est pourquoi nous sommes en présence d’enjeux complexes. Une négociation favorisant la prise en compte de la pluralité des enjeux identifiés s’impose. Ainsi, peut-on se demander ce qui, à un moment donné, incite à penser que la situation est celle d’une fin de vie. Du point de vue de l’expressivité de la relation et donc de la réciprocité d’un échange, il ne saurait être question de conclure hâtivement que la situation s’avère irrévocable. Il est des modes de communication atténués et des manifestations du lien, y compris alors que tout était considéré a priori comme révolu. Cela ne peut qu’inciter à la prudence et à une extrême retenue dans les prises de décision. Se laisser ainsi surprendre n’est pas toujours compatible, aujourd’hui, avec les logiques qui prévalent dans la gestion et l’évaluation du soin. C’est vous dire à quel point à elle seule la loi ne peut apporter des réponses qui relèvent, avant toute autre considération, de l’exigence éthique d’un soin digne jusqu’au bout.  

Propos recueillis par Pierre Perrier

 


 Où en est la démarche d’évolution de la loi ?

Aménager la loi Leonetti de 2005 sur les droits des malades et la fin de vie : c’était l’une des promesses du candidat Hollande. De fait, le 12 décembre dernier, un rapport transformé, en proposition de loi depuis, a été remis au Président de la République par les députés UMP Jean Leonetti et PS Alain Claeys.

Dans leur rapport, les deux parlementaires se prononcent en faveur d’une « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour des patients en phase terminale qui en feraient la demande. Ils rejettent l’idée d’une « aide à mourir », susceptible d’être assimilée à une euthanasie ou à un suicide assisté, et défendent le respect des « directives anticipées » des patients.

Pour mémoire, la loi Leonetti interdit actuellement l’acharnement thérapeutique et autorise l’arrêt des traitements lorsqu’ils sont jugés « disproportionnés ». Elle permet également l’administration dans certains cas précis d’antidouleurs pouvant aller jusqu’à « abréger la vie » mais elle reste globalement mal comprise et mal appliquée par les médecins.  


 

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