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Myriam El Khomri nous parle des métiers du grand âge Interview

Madame EL KHOMRI,

Lors de votre conférence de presse du 29 octobre 2019, vous avez présenté un « Plan de Mobilisation Nationale en faveur de l’Attractivité des Métiers du Grand Age 2020-2024 ». Vous nous avez rappelé les enjeux du grand âge mais aussi ceux du handicap, lesquels nous amènent aujourd’hui aux défis du courage nécessaire afin de promouvoir la vocation et les compétences des métiers et une reconnaissance sociale et matérielle indispensable à l’attractivité du secteur. Votre rapport démontre un travail de fond et de réforme, notamment les actions menées en faveur des professionnels de proximité que sont les aides-soignants et les accompagnants.

Vous semblez concentrée sur ces deux professions. Pensez-vous que la crise du secteur repose essentiellement sur ces professionnels ou selon vous, sont-ils les plus concernés par l’attractivité du secteur ?

Aujourd’hui, il s’agit effectivement de promouvoir les métiers des professionnels de l’accompagnement intervenant en EHPAD mais aussi à domicile. Certes, nous n’avons pu évoquer en profondeur l’ensemble des autres professions, les gériatres, les médecins coordonnateurs, les infirmiers, les ergothérapeutes, les masseurs-kinésithérapeutes, les psychomotriciens, les responsables de secteur mais aussi énormément d’autres professionnels intervenant dans la prévention de la perte d’autonomie. Face aux difficultés qu’ils rencontrent, ils auraient mérité d’être présents dans ce rapport et nous avons constaté beaucoup de frustrations, que nous partageons également.

Cependant, compte tenu du temps qui nous était imparti et face aux difficultés actuelles, s’agissant de ces deux métiers (25 % de moins de candidatures chez les aides-soignants et de moins en moins de formations pour les professionnels de l’accompagnement du domicile et en EHPAD), nous avons ciblé nos travaux sur ces deux professions.

Bien évidemment, tous les métiers méritaient une place dans ce rapport, mais si nous n’avions pas réalisé un focus sur ces métiers du soin et de l’accompagnement de proximité, à savoir aide-soignant et auxiliaire de vie, nous n’aurions que survolé le sujet, alors que là nous avons favorisé une vraie méthode de travail en associant des professionnels dans l’équipe projet, en réalisant plus de 80 heures de visite de terrain et près de 150 auditions.

Néanmoins beaucoup d’autres professions sont citées, c’est le cas d’une de nos propositions visant à organiser un stage en gériatrie dans le cadre des études de médecine, ou encore de la reconnaissance de la pratique avancée en gérontologie pour les infirmiers.

Quelles sont les préconisations de votre rapport ?

Il y en a près de 59 ! Plus globalement, nous proposons une vraie réforme organique en ce sens que chacun de ses piliers (rémunération, formation, qualité de vie au travail, innovation) se fait solidaire des autres et permettrait aux salariés d’être dans une dynamique, de retrouver de l’espoir, du soutien et des solutions concrètes face au malaise ressenti actuellement. Toutes les contributions issues de la mission ont été transmises afin d’alimenter les travaux du futur projet de loi sur l’Autonomie et le grand âge porté par la Ministre Agnès Buzyn. Nous avons eu à cœur de conjuguer deux impératifs : la qualité de vie au travail des professionnels et la qualité de service auprès des personnes en perte d’autonomie.

Vous avez évoqué également lors de la conférence de presse la volonté de mettre en place une réforme organique autour de 4 axes que sont :

1. Assurer de meilleures conditions d’emploi et de rémunération

2. Moderniser les formations

3. Améliorer la qualité de vie au travail et réduire la sinistralité

4. Innover pour transformer les organisations

De quoi s’agit-il plus précisément ?

1. La revalorisation

Vous avez parlé d’homogénéiser la profession par la valorisation du secteur, pouvez-vous nous en dire plus ?

Il faut déjà créer des postes au nombre de 18 500 par an en moyenne sur les 5 prochaines années.

Pourtant la tension du secteur semblait nécessiter 40 000 personnels en plus, quelle est cette différence ?

Vous parlez des objectifs de tous les professionnels intervenant en EHPAD. Dans nos travaux, il s’agit de 18 500 personnels ciblés aides-soignants et d’accompagnants de personnes âgées en perte d’autonomie intervenant à domicile. Vous verrez en bas de page 58 du rapport, les bases des calculs qui ont permis d’évaluer ce chiffre de 18 500 professionnels par année.

En tout cas, si on rajoute les 60 000 postes aujourd’hui non pourvus et également les départs massifs à la retraite ainsi que les turnovers dans le secteur, c’est près de 352 600 aides-soignants et d’accompagnants de personnes âgées en perte d’autonomie qu’il faudra former dans les 5 prochaines années, c’est-à-dire le double du flux actuel d’entrée en formation.

Nous nous sommes posé cette question et nous avons réalisé ce travail afin de comprendre comment nous pouvions outiller en dispositifs de formation pour répondre à ces besoins. Nous préconisons également de remettre à niveau dans les conventions collectives les rémunérations inférieures au SMIC qui ont pour conséquence que les professionnels restent payés au SMIC une dizaine d’années. Il nous parait également urgent de mieux indemniser les temps de trajet entre deux missions pour les intervenants à domicile.

2. La formation

On préconise de supprimer le concours d’aides-soignants et de rendre gratuites les formations d’aides-soignants mais aussi des professionnels intervenant à domicile.

Nous recommandons également de former 10 % des effectifs par la voie de l’alternance. Le SYNERPA s’est d’ailleurs engagé pour un apprenti par EHPAD ; la mobilisation des employeurs aujourd’hui est relative aux financements de programmes d’investissements dans les compétences et notamment l’apprentissage.

On préconise que 25 % des formations puisse être réalisées au titre de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Aujourd’hui, vous avez beaucoup de personnels appelés des « faisant fonction » qui développent ces compétences et qui méritent qu’on leur reconnaisse un diplôme. C’est par cette VAE que ces professionnels pourront avoir une rémunération associée à leur qualification. Offrir des perspectives de carrière aux professionnels concourt aussi à l’attractivité des métiers.

3. La qualité de vie au travail

En termes de qualité de vie au travail, la sinistralité a atteint un « niveau record » trois fois plus important que la moyenne nationale : le taux de fréquence des accidents du travail est de 100 pour 1000 salariés. Pour indication, pour l’ensemble des salariés français, nous sommes à un taux de fréquence des AT-MP de 34 pour mille et dans le secteur du Bâtiment, nous sommes à 60 pour 1000. Ce dernier secteur a réussi à faire baisser sa sinistralité de 30% sur les 10 dernières années.

Ce que nous préconisons est un Programme National de lutte contre la sinistralité porté et financé par la branche AT-MP dans le cadre des excédents de cotisations à hauteur de 100 millions d’euros afin de porter un plan de prévention national, ce qui permettrait :

  • Des formations sur les « gestes et postures ».
  • De recruter des préventeurs et des ergothérapeutes.
  • De remplacer des salariés lorsqu’ils vont en formation.
  • De mettre en place des aides techniques, soit en EHPAD ou à domicile pour faire baisser la « pénibilité du travail » pour les salariés.
  • Et dans le même sens, de préconiser 4 heures de temps collectifs par mois en EHPAD et en SAAD pour que les professionnels puissent mieux partager sur leur quotidien car nous ne pouvons nier aussi la charge mentale de ce type de métier.

4. L’innovation

Lors de nos visites terrain, nous avons été particulièrement subjugués par des pratiques innovantes en termes d’organisation du travail ou d’une nouvelle approche de la relation des professionnels avec les personnes en perte d’autonomie telles que :

  • La méthode de « Buurtzorg » pour  les SAAD.
  • Les labels « Cap’Handéo » pour le Handicap et Humanitude pour les  EHPAD.

Ces démarches innovantes doivent à la fois être soutenues financièrement et évaluées car elles améliorent la qualité de vie au travail (baisse de l’absentéisme) et aussi la qualité de service. Il semble que le CNSA peut jouer un rôle d’impulsion, de financement et d’évaluation.

La déclinaison de l’offre sur les  territoires par « guichet unique » :  pouvez-vous nous en dire plus à ce  sujet ?

Dans le rapport, il est question d’une « plateforme des métiers du grand âge ». Cette plateforme, c’est véritablement « notre bras armé » pour mettre en oeuvre notre rapport. Ce seront précisément des équipes portées par des associations, établissements  publics ou privés tels que le dispositif « Invie  » mis en place dans le département des Yvelines qui a été monté par la Ville des Mureaux au départ. Invie a formé tous les conseillers du Pôle Emploi ainsi que les Missions locales sur la réalité des  métiers de l’autonomie.

Ces acteurs mettent à disposition d’ailleurs des « kits de vieillissement » pour permettre de  découvrir les vulnérabilités des seniors en tant que spécificités du grand âge. Ces dispositifs de mise en situation permettent de faire connaitre au plus proche de la réalité la profession et la relation d’accompagnant avec la personne âgée en perte d’autonomie.

Ce dispositif « Invie » a pour objectif de  communiquer régulièrement auprès des publics sur les questions relatives aux enjeux du grand âge, de faire connaitre les métiers et les formations spécifiques par des réunions d’information collectives. Près de 1 000 personnes par an sont sensibilisées et testées à travers des  mises en situation ; une quinzaine de personnes sont suivies en moyenne pendant une semaine sur leur « savoir-être » et leur empathie pour intégrer ces métiers. Mille personnes sont « touchées » par les sensibilités du secteur chaque année. Six-cents personnes arrivent  dans les sas d’orientation en bénéficiant d’un accompagnement pour l’accès à la  formation ; au résultat, ce sont près de 500 personnes accompagnées chaque année vers ces métiers dans les Yvelines.

Ce  dispositif nous permet d’identifier les personnes à fortes motivations sans risque d’abandon du parcours de formation puisqu’elles auront été bien préparées à connaître préalablement les caractéristiques du métier. Cela représente bel et bien un « bras armé » pour répondre à cet enjeu de l’attractivité afin de créer avec certitude plus de vocations.

Autre point sur la « communication » : nous en avons fait un « levier ». Nous nous sommes inspirés de nos observations sur ce qui se pratiquait dans  l’Armée. On prône en effet une « campagne  tout secteur et toutes fédérations confondues » autant pour le domicile que sur les EHPAD. Nous avons actuellement dans l’Armée 4 millions d’euros de budget engagés dans la campagne de communication et nous nous en sommes inspirés. Il faut préciser les objectifs de la campagne de communication institutionnelle que nous avons retenue :

  • Prendre soin, l’utilité, l’empathie, être utile aux autres.
  • Raconter le métier.

Nous sommes bien conscients que si ces métiers ont actuellement une « mauvaise image », c’est aussi le reflet de la place qu’on accorde au vieillissement et à la perte d’autonomie dans notre pays.  Notre défi est avant tout de changer le regard sur la perte d’autonomie et c’est aussi comme cela que nous changerons le regard sur les salariés qui travaillent dans ce cadre-là.

En termes de recrutement, nous recommandons d’utiliser les réseaux sociaux parce qu’aujourd’hui ces moyens de communication numérique représentent un vecteur majeur pour les recruteurs : les « webs-séries », les « influenceurs » (expérimenté  au SPASAD de Paris 5e)… Il y a effectivement plein d’évolutions émergentes dans les pratiques de recrutement.

De façon globale, nous avons estimé le budget du plan de mobilisation pour l’attractivité de ces métiers pour 2020 :

  • 170 millions pour la remise à niveau des conventions collectives pour les salaires en dessous du SMIC.
  • 450 millions pour les postes à créer qui prennent en compte les « temps collectifs » et l’augmentation des taux d’encadrement.
  • 100 millions d’euros de la branche AT-MP pour le programme de lutte contre la sinistralité.
  • 100 millions pour les plateformes départementales.

Mais aussi des impacts en formations. Ce que nous proposons à l’issue de  la loi Autonomie, c’est un projet de  loi rectificatif de financement de la sécurité sociale afin que nous puissions déployer ces projets dès 2020.

Le présent rapport sera suivi d’une conférence sociale par la Ministre de la Santé et des Solidarité Agnès  BUZYN et d’un accord tripartite avec les Régions et les Départements mené par la Ministre, ainsi que par la Ministre du Travail Muriel PENICAUD.

Avez-vous un message fort à notre lectorat ? 

Ce qui m’a semblé essentiel durant cette mission, c’est que nous avons ressenti un engagement fort des professionnels, une fierté des personnes rencontrées. En même temps, nous avons perçu le  sentiment d’être « invisible » dans les  champs public et médiatique, d’être à la fois dans les métiers d’engagement et de relations humaines, mais que leur parole n’était pas toujours prise en  compte. Beaucoup de responsabilités et d’exigence mais peu de reconnaissance.

La bienveillance n’est malheureusement pas la chose la mieux valorisée dans  notre société. On espère que ce rapport contribuera à créer une société de bienveillance et que les impératifs de la qualité de vie au travail des salariés et des bénéficiaires soient au rendez-vous tout simplement,  même si le chemin est encore long.

Un grand merci à tous les professionnels  ayant contribué à ce rapport et notamment pour l’accueil qui nous a été réservé dans le cadre de cette mission.

EHPAD Magazine remercie tout particulièrement Madame EL KHOMRI pour les échanges accordés dans le cadre de la communication institutionnelle du rapport. 

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