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On ne peut exister sans l’Autre Non classé

Pierre Hugodot est directeur de l’Ehpad La Roseraie dans le Calvados. Un métier qu’il a appréhendé sur le tard mais en restant fidèle aux principes auxquels il n’a jamais dérogé durant sa carrière.

À vingt ans, à défaut de vouloir refaire le monde, on peut avoir envie qu’il soit meilleur et que ceux qui sont partis du mauvais pied dans la vie retrouvent une rectitude minimale synonyme de dignité mais surtout d’épanouissement. En 1972, avec son bac en poche et fort d’une expérience professionnelle qui se résume à des vacations comme moniteur de colonie, Pierre Hugodot devient éducateur de contact à Flers, dans l’Orne, autrement dit, éducateur spécialisé auprès de délinquants en bas âge : « J’ai toujours eu envie de travailler avec les jeunes. C’est quelque chose que j’ai en moi depuis que je suis tout petit sans que rien de particulier en n’ait été le déclencheur. Disons que j’ai un esprit plutôt collectif qu’individualiste. » En 1973, ce fils d’un cadre chez Air France et d’une mère femme au foyer s’inscrit à l’Institut régional de formation des travailleurs sociaux (IRFTS) de Caen mû par de louables idéaux et rétif à l’autorité, du moins quand elle est martelée et imposée sans concertation. La pédagogie alors en vogue lui sied sans restriction : « La formation était calquée sur la méthode Freinet et la méthode Montessori qui laissent l’individu assez libre. Elles sont basées sur l’observation de l’Autre et récusent toute forme de dirigisme. Au contraire, il s’agit d’autonomiser l’enfant pour mieux le responsabiliser. »

« Travailler dans la pluridisciplinarité car on ne solutionne rien tout seul »

Une ligne directrice honorable mais plus difficile à mettre en œuvre au quotidien au sein du service de pédopsychiatrie du centre hospitaliser de Bayeux qu’intègre Pierre Hugodot en 1976, à sa sortie de l’IRFTS. Cette unité de psychiatrie ambulatoire, qui s’adresse aux patients de 0 à 16 ans, le confronte à toutes les déviances ou presque du genre humain, des plus banales au plus sordides, « du pipi au lit à la folie en passant par la violence et la prostitution tant féminine que masculine d’ailleurs ». La démarche curative nécessite abnégation, patience et longueur de temps sans résultat garanti : « On joue le rôle de miroir dans le sens où l’on est obligé de renvoyer à l’adolescent l’image de ce qu’il devrait être et de ce qu’il doit modifier dans son comportement.
Il faut systématiquement essayer de comprendre l’Autre et d’être tourné vers lui, ce qui implique, pour le soignant, de faire abstraction de sa propre personnalité. Mais voir comment un enfant évolue tout en intégrant ses demandes voire celles de ses parents est toujours extrêmement enrichissant. Parfois, on s’aperçoit longtemps après que le petit peu que l’on a fait a fini par porter ses fruits. Le tout est de croire en la possibilité de chacun de changer et de toujours travailler dans la pluridisciplinarité car dans ce genre de situation, on ne solutionne rien tout seul.»

En 1995, Pierre Hugodot devient chef de service éducatif au centre de rééducation fonctionnelle de La Ferté-Macé (61) et franchit un nouveau palier en étant, de son propre aveu, confronté à des drames indicibles : « Au niveau éducatif, c’est le summum. Les gamins étaient souvent cabossés de partout. Certains avaient subi des traumas irréversibles, d’autres étaient paralysés voire atteints de myopathie ou de maladies neuro-dégénératives incurables. Pourtant, la plupart étaient des boulimiques de la vie même quand ils savaient qu’il ne leur restait plus beaucoup de temps à vivre. Cela a été une leçon faramineuse pour moi qui étais chargé de gérer toutes leurs activités aussi bien scolaires que leurs loisirs. En tant que professionnel, on en prend plein la figure. » Au point d’aspirer au bout d’un quinquennat a davantage de stabilité. Encore que la direction, à partir de 2000, de deux antennes du Foyer de l’enfance de Caen, respectivement destinées aux garçons (de 16 à 21 ans) et aux filles (de 14 à 16  ans), s’avère ardue et requiert, là encore, un investissement total.

« Au début, je ne savais pas de quoi je parlais »

En dépit d’une implication quotidienne de tous les instants, Pierre Hugodot n’a jamais délaissé la formation continue avec l’obtention d’un Diplôme supérieur en travail social (DSTS) et d’une licence de sociologie. En 2005, le sentiment d’avoir expérimenté toutes les facettes de son métier l’incite à se réorienter. Comme le droit de la fonction publique lui en donne la possibilité, il fait valoir ses six années d’expérience en tant que cadre socio-éducatif pour postuler à la direction d’un Ehpad sans quasiment rien connaître du secteur. Le voilà donc, pour son premier poste, simultanément à la tête de deux Ehpad sis à Brehal et à Agon-Coutainville dans la Manche. Ubuesque ou presque. « Au début, je ne savais pas de quoi je parlais ni quels étaient les besoins des personnes âgées, raconte-t-il. Je me suis débrouillé comme j’ai pu et j’ai appris sur le tas. Je me suis beaucoup appuyé sur mes adjoints. Et puis heureusement qu’il y avait les infirmières coordinatrices même si le soin et l’aspect médical ne m’étaient pas étrangers. Dans ces cas-là, il n’y a qu’une chose à faire : bosser, apprendre et ne pas se décourager même si au début, tous les week-ends y passent. Mais je n’étais pas le seul dans ce cas. J’ai en effet connu des fonctionnaires de catégorie A qui, auparavant, travaillaient par exemple chez EDF ou étaient professeurs de Français et qui sont devenus directeurs de maisons de retraite. »
L’empirisme ayant ses limites, le directeur frais émoulu suit, en 2007, une formation à l’École des hautes études en santé publique de Rennes où il acquiert les fondamentaux. Un bagage indispensable et fort précieux à l’heure de renégocier les conventions tripartites qui lient les établissements dont il a la charge aux pouvoirs publics. L’exercice de style est hautement technique, ce qui ne l’empêche pas d’en maîtriser les subtilités et les chausse-trapes. Une expérience précieuse dont il donne la pleine mesure au sein de l’Ehpad La Roseraie à Saint-Sever (14) dont il a pris la tête en 2010. Avec comme un credo une antienne qui peut paraître éculée voire galvaudée mais qui n’en est pas moins profonde : «  Le respect des résidents, bien sûr, mais aussi des membres du personnel entre eux. D’ailleurs, on s’aperçoit que les deux vont de pair. »
Les fonctions qu’assume aujourd’hui Pierre Hugodot sont, d’une certaine manière, une façon de boucler la boucle tant, à ses yeux, s’occuper de jeunes désocialisés et de résidents en fin de vie repose sur le même postulat : « Dans les deux cas, on est obligatoirement dans l’échange avec l’Autre, on est là pour l’aider à conserver une certaine autonomie morale et éviter que l’individu se dégrade. Il y a l’idée que l’on ne peut exister sans l’Autre qui, même s’il est différent de moi, m’apprend  toujours quelque chose. »

Alexandre Terrini

 

Une structure de taille

L’Ehpad La Roseraie1 est un Ehpad public habilité à l’Aide sociale et doté d’une capacité de 100 places. S’il ne possède pas de Cantou, il fait partie d’un ensemble qui comprend également un Service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et un Service d’aide à domicile (SAD), ce qui « fait au total environ 370 dossiers à gérer », précise Pierre Hugodot.
L’Ehpad s’appuie sur une animatrice à temps plein qui propose une grande variété d’activités aux résidents, certaines classiques comme la gymnastique douce ou les ateliers mémoire, d’autres plus novatrices comme la médiation animale qui consiste à entretenir les diverses fonctionnalités de l’organisme en mettant en contact les personnes âgées avec des animaux domestiques. La direction organise également des sorties à la mer et participe régulièrement aux Olympiades des personnes âgées dans le Calvados.

1 25 rue de la Gare, 14380 Saint Sever.

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