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Prendre en compte la fragilité des personnes âgées doit être une priorité Non classé

Le Professeur Bruno Vellas est chef du pôle de gériatrie-gérontologie du Centre hospitalier universitaire de Toulouse et coordonnateur du Gérontopôle de Toulouse dont l’objectif est de dynamiser la recherche et la prévention mais aussi de promouvoir la santé des personnes âgées. Expert en fragilité, il défend « le repérage, l’évaluation et la prise en charge de la fragilité pour prévenir la dépendance en pratique clinique ».

 

Qu’est-ce que la fragilité ?

 Bruno Vellas :  Il existe trois sortes de personnes âgées : celles en bon état de santé, lesquelles représentent 50 à 60 % des plus 65 ans. Ce sont, par exemple, des individus qui peuvent avoir du diabète mais qui sont traités, robustes et autonomes à domicile. Il y a ensuite les personnes âgées dépendantes qui ont besoin d’aide pour leurs activités de base quotidiennes : elles représentent 8 % de la population et habitent soit à domicile soit en Ehpad. Enfin, nous regroupons les personnes âgées fragiles et très fragiles de plus de 65 ans ensemble ; elles représentent 12 % de la population, soit 20 millions d’individus. Cette hiérarchie répond à cinq critères mis au point par l’Américaine Linda Fried, épidémiologiste et gériatre qui a consacré sa carrière à la science du vieillissement sain : une perte de poids involontaire, une vitesse de marche lente (plus d’un mètre par seconde), un sentiment de fatigabilité, une grande sédentarité et la diminution de la force musculaire pour marcher ou monter les escaliers. Si une personne âgée présente l’un de ces critères, elle est considérée comme fragile. Si elle en remplit trois, elle est catégorisée comme très fragile.

 

En quoi cette notion de fragilité peut-elleaider les Ehpad ?

 B. V. : La définition de la fragilité est primordiale pour les Ehpad car on observe aujourd’hui une explosion démographique des 80-85 ans, soit, chaque année en France, 80 000 personnes âgées de plus de 80 ans. En Europe, cela représente 500 000 personnes ! Or, longtemps, les Ehpad se sont intéressés à la grande dépendance. Désormais, il faut aussi prendre en charge ces grands vieillards très fragiles mais pas forcément dépendants même si certains ne peuvent plus rester à domicile. Dans ce cas, le rôle des Ehpad est différent de celui avec les personnes âgées dépendantes : il s’agit, ici, de faire en sorte de conserver au maximum leur autonomie et non de palier leur perte d’autonomie. C’est un challenge très important que d’apporter des solutions à ces personnes âgées. En même temps, cela permet aux Ehpad de mixer les populations et d’avoir une population plus autonome pour laquelle il faudra prévoir des activités physiques et cognitives.

 

Les Ehpad ont donc un rôle important à jouer dans le repérage de la fragilité sur lequel vous insistez, notamment dans le « Livre blanc de la fragilité » publié en mars 2015…

 B. V. : Bien sûr ! Des Ehpad, il y en a partout sur le territoire. Ils pourraient donc repérer les personnes fragiles mais aussi chercher les causes et, bien sûr, mettre en place des actions de prévention (activités cognitives, régimes nutritionnels adaptés etc.). Bref, les Ehpad peuvent être des postes ambulatoires car ils bénéficient d’une expertise importante grâce à leurs réseaux de professionnels de santé. D’ailleurs, en décembre prochain, nous allons organiser un Congrès, à Toulouse, en partenariat avec l’ambassade de France aux États-Unis, sur la manière dont les Ehpad peuvent être un lieu de prévention de la fragilité.

 

Quelles expérimentations avez-vous mises en place ou prévoyez-vous d’effectuer sur le sujet de la fragilité ?

 B. V. : Nous avons cherché à savoir combien de personnes fragiles et non dépendantes – c’est à dire des Gir 4, 5 et 6, sont présentes en Ehpad. En moyenne, d’après l’enquête du Professeur Yves Rolland, un gériatre du Gérontopôle, cette frange de la population constitue 20 % des sujets en Ehpad. Il nous semble donc important que les acteurs des Ehpad puissent contribuer à repérer ces personnes fragiles pour mettre en place des actions visant à lutter contre la fragilité et maintenir l’autonomie. Par ailleurs, nous réfléchissons à la création de  sections pour ces personnes âgées afin de ne pas les mélanger à des sujets très dépendants car elles ont besoin d’être stimulées. Certains groupes d’établissements se sont déjà montrés intéressés. Enfin, nous réfléchissons à la création d’un centre où nous évaluerions ces personnes fragiles avec l’appui des équipes pluridisciplinaires des Ehpad implantés à proximité. Mais cela nécessite un financement adéquat.

 

Quelles sont les missions du Gérontopôle de Toulouse ?

 B. V. : L’une de nos missions est de permettre l’accès à l’innovation aux personnes âgées qui en ont été exclues. Nous concevons donc des outils innovants en pratique clinique, par exemple le repérage et la recherche des causes de la fragilité ou encore des actions de prévention. Nous avons également créé, au sein du Gérontopôle, un hôpital de jour de la fragilité afin de prendre en charge des personnes âgées pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures afin d’éviter les hospitalisations en urgence. Les personnes âgées fragiles sont envoyées à l’hôpital par leur médecin traitant pour que nous effectuions une évaluation complète de la personne. Une fois sur deux, le trouble à l’origine de l’accentuation de la fragilité est passé inaperçu : cataracte, trouble de l’humeur, altération de la nutrition. Dès lors, nous prévoyons des actions de prévention, notamment pour agir sur l’exercice physique et la nutrition. Cette unité a été créée il y a trois mois à l’Hôpital Garonne. Son fonctionnement est assuré par une petite équipe médicale composée d’un infirmier, d’un aide-soignant et d’un médecin mais elle peut aussi s’appuyer sur les ressources du Gérontopôle. Une centaine de patients sont déjà venus. Par ailleurs, nous avons également formé des infirmiers aux protocoles scientifiques propres à l’évaluation des personnes âgées. Ces experts se déplacent sur tout le territoire, dans des cabinets de médecine générale, pour éviter aux personnes âgées un passage par les urgences.

 

Quid des maladies neuro-dégénératives ?

 B. V. : Autre sujet très important, effectivement, la recherche sur les troubles du comportement dans le cadre de la maladie d’Alzheimer. C’est la préoccupation numéro un en Ehpad, mais elle a été peu étudiée car dans toutes les cohortes de patients, on exclut les personnes atteintes de troubles comportement. Nous venons donc de lancer l’étude « A3C » qui vise à suivre une cohorte de patients déments, agités et agressifs, d’un point de vue clinique, en utilisant des biomarqueurs et des techniques d’imagerie pour comprendre ce qui se passe et quelles solutions nous pouvons mettre en place. Cela est primordial car c’est l’une des principales difficultés rencontrées par les personnels en Ehpad où un résident sur deux est atteint de démence. C’est d’ailleurs la première cause d’hospitalisation en unité de soins aigus. Les chercheurs essaient de trouver comment soigner cette agitation mais il est difficile d’en déterminer les causes, lesquelles peuvent être médicales mais aussi des délires ou des hallucinations. Et les traitements sont, pour l’heure, peu efficaces. Notre objectif est donc de développer la recherche clinique en Ehpad afin d’améliorer les soins apportés aux résidents.

 

Pour quelles raisons faut-il à tout prix éviter les urgences aux personnes âgées ?

B. V. : Le nombre de personnes âgées qui sont hospitalisées en urgence augmente chaque année alors que nous savons que ce n’est pas la bonne solution. Nous sommes en train d’identifier dans quels cas, précisément, cela est vraiment nécessaire. Les épisodes d’agressivité, s’ils ne sont pas majeurs, peuvent par exemple attendre plusieurs jours, tout comme une chute sans fracture. Les urgences des hôpitaux ne sont pas adaptées aux personnes âgées et génèrent un risque de dépendance accrue qui pourrait être évité. Un résident laissé alité alors qu’il savait faire sa toilette va, par exemple, perdre de ses capacités d’autonomie. Il faut prévenir, à tout prix, la dépendance évitable des personnes âgées. Un patient fragile perd du poids car il mange peu. On peut agir sur ce trouble. Cela sera beaucoup plus compliqué avec un patient alité dépendant et anorexique.

 

Pourquoi entend-on plus souvent parler de dépendance que de fragilité ?

 B. V. : La dépendance est très médicalisée alors que la fragilité a longtemps été trop prise en charge par le secteur social. Pourtant, cette notion explose aujourd’hui. Il y a dix ans, il n’y avait pas d’article sur le sujet. Aujourd’hui, on frôle les 1 000 publications par an. C’est un domaine en pleine expansion. Nous organisons d’ailleurs, au mois de mars, le 4e Congrès de la fragilité pour mobiliser tous les acteurs et diffuser largement nos connaissances. Nous avons aussi diffusé sur Internet un court spot sur la fragilité pour expliquer au grand public et aux professionnels en quoi cela consiste. Et ce, en partenariat avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Nous ressentons un véritable engouement chez les professionnels de santé. Ils sont très réactifs. Mais il est long de changer les habitudes… Or, pendant très longtemps, il a fallu attendre le stade la dépendance pour que les gériatres s’occupent des personnes âgées.  

 

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