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René Caillet : « Les résidents actuels ont une approche souvent plus apaisée de la laïcité que les jeunes générations » Non classé

R. Caillet

R. CailletPour le responsable du pôle Organisation sanitaire et médico-sociale de la Fédération hospitalière de France (FHF), la laïcité est davantage un enjeu prégnant à l’hôpital qu’en Ehpad. Ce qui n’empêche pas de s’emparer du sujet de part et d’autre.

 

Dans quelle mesure la confession des résidents est-elle un enjeu au regard du respect de la laïcité dans les Ehpad ?

René Caillet : Cet aspect n’est actuellement pas notre point d’entrée pour aborder le sujet. Et ce, d’autant que nous n’avons pas d’analyses statistiques ni de remontées sur d’éventuelles difficultés ayant trait à la confession des personnes en Ehpad, qu’il s’agisse des résidents ou des personnels. Pour l’instant, ce n’est donc pas un sujet qui est considéré comme problématique par la FHF. Par ailleurs, il y a sans doute un effet générationnel. Les personnes âgées actuellement résidentes ont en effet une approche souvent plus apaisée du sujet que les jeunes générations. Et puis en Ehpad, la personne vit, ne l’oublions pas,  à son domicile. Elle a donc toute latitude pour exprimer ses croyances dans ce qui est son lieu de vie. Pour le reste, la laïcité se caractérise en établissement par des constantes, lesquelles ont notamment trait à l’accompagnement des vœux de la personne en matière de respect de sa liberté religieuse. 

 

Plus précisément ?

R.C. : Les trois sujets principaux à traiter sont le respect des prescriptions alimentaires, la pratique du culte et tout ce qui se rapporte à la fin de vie. Mais, encore une fois, je ne suis pas certain qu’ils soient la source de problèmes réels en Ehpad. En outre, il existe un ensemble de textes sur le sujet, en particulier la charte de la laïcité dans les services publics du 13 avril 2007,  la circulaire du premier ministre du 2 mars 2010, et la circulaire du 5 septembre 2011 de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Ils apportent des réponses claires. Ils s’appliquent aux établissements sanitaires car aucun n’est explicitement transposé aux établissements médicaux-sociaux. Cela n’empêche pas que les principes soient les mêmes, tout du moins pour les Ehpad publics qui sont adossés à des établissements de santé. Ils sont alors soumis au même régime que ces derniers. En revanche, un établissement privé à but lucratif sans mission de service public, voire confessionnel, a davantage de latitude pour organiser son fonctionnement et peut mettre en place une adaptation plus spécifique tout en respectant les principes fondamentaux de la laïcité.

 

Justement, quels sont ceux qui s’appliquent au sein des établissements de la FHF ?

R.C. :  Les personnes hébergées ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses et d’exercer le culte de leur choix dans le cadre des six religions reconnues par la République, chacune d’elles étant représentée par un interlocuteur désigné (Église catholique, Consistoire israélite de Paris, Fédération protestante de France, Assemblée des évêques orthodoxes de France, Union bouddhiste de France et Conseil français du culte musulman). C’est dans ce cadre que l’exercice de la laïcité prend sa pleine et entière dimension. En dehors de ces cultes reconnus, il y a matière à débat, à adaptation et à des approches spécifiques au sein des établissements. Lesquels doivent obligatoirement comporter un lieu de culte ou plutôt un espace de recueillement pluriconfessionnel. Par ailleurs, chaque Ehpad doit procéder à la désignation d’un correspondant en matière de laïcité. A défaut, c’est le directeur qui assume cette fonction. Pour ce qui est des menus, leur déclinaison doit respecter un minimum de précautions, notamment à l’intention des Musulmans et des Israélites. Enfin, pour ce qui a trait à la fin de vie et à la mort, cet aspect est évidemment beaucoup plus prégnant dans les Ehpad. Il nécessite en outre de former les personnels pour les sensibiliser aux différentes pratiques cultuelles en matière d’accompagnement des défunts.

 

Les Ehpad sont-ils tenus d’accepter la présence d’un aumônier et que celui-ci ait un rôle actif au sein des établissements lors de la toute fin de vie des résidents croyants ?

R.C. : C’est légalement le cas pour les établissements hospitaliers. En revanche, cela n’est pas explicitement précisé pour les établissements médicaux-sociaux. Cependant, il existe une charte des aumôneries contenue dans la circulaire de la DGOS du 5 septembre 2011. Elle précise les relations entre les aumôneries et les établissements. Et il n’y a aucune raison de penser que cela ne s’applique pas aux Ehpad de la République, publics, commerciaux et non lucratifs, même si des interrogations subsistent, en particulier en ce qui concerne le financement et la rémunération des aumôniers pour les Ehpad non publics.

 

Les personnels des Ehpad publics sont-ils, comme ceux des hôpitaux, l’objet de dispositions particulières afin qu’ils se conforment aux principes de la laïcité ?

R.C. : Dans les deux cas, les principes sont clairs : c’est la neutralité qui s’applique. A partir du moment où une personne exerce un emploi public dans l’un de nos établissements, elle se doit de respecter une neutralité, en particulier vestimentaire et dans ses actes professionnels. Elle ne doit porter aucun signe extérieur d’appartenance religieuse ni se livrer à aucun prosélytisme. Toutes ces obligations sont respectées naturellement par nos personnels. Ce n’est pas un sujet qui fait l’objet de remontées particulières. Et, le cas échéant, dans les cas litigieux, c’est au responsable de l’établissement de le faire respecter. En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, une organisation est mise en place et les personnels qui le souhaitent bénéficient d’aménagements horaires et de conditions de travail qui leur permettent d’exercer leur culte. Je précise d’ailleurs qu’au sein de la FHF, nous avons une conception assez large de la laïcité dans nos établissements, qu’ils soient sanitaires ou médicaux-sociaux. Cette notion n’est pas seulement liée au culte. Elle implique la non-discrimination à l’embauche, la liberté de conscience de manière plus générale et le déroulement de la carrière sans distinction de religion, bien sûr, mais aussi de sexe et d’âge.

 

Craignez-vous, à l’avenir, que les Ehpad soient de plus en plus le théâtre des mêmes problèmes qui se posent aujourd’hui dans les hôpitaux et que les futures générations de résidents soient moins ouvertes au respect des principes de la laïcité ?

R.C. : Il est vraiment trop tôt pour répondre. A ce jour, le sujet n’est pas d’une brûlante actualité et il n’y a pas de signes augurant que cela le devienne. Je ne vais donc pas de faire de pronostic.  Pour l’instant, nous ne sommes confrontés à cela qu’à l’hôpital dans le cadre des pratiques de soins dispensés sur des générations jeunes et actives. De même, il est impossible d’affirmer que les résidents en Ehpad sont de plus en plus croyants ou pas ou tout simplement qu’ils expriment davantage leur foi. Et ce, quand même bien leurs convictions religieuses ont-elles toujours été fortes et plus marquées que chez les jeunes. Là non plus, il n’existe aucune statistique sur le sujet, lequel est du ressort de l’intime et extrêmement complexe à apprécier.

 

Dans un communiqué publié fin janvier, la FHF entend « s’engager pour la laïcité » et « rappeler l’importance de la laïcité dans le fonctionnement des hôpitaux et des établissements médicaux-sociaux ». Qu’est-ce à dire concrètement ?

R.C. : Le Président de la FHF, Frédéric Valletoux, a souhaité que ce soit la commission des représentants  des usagers de la FHF qui s’empare de cette question. Ce n’est pas neutre car cette commission est au carrefour des droits et des obligations tant des personnels que des patients et des résidents qui sont accueillis dans nos établissements. Il était donc naturel que ce soit elle qui traite le dossier. Les travaux viennent de commencer. Nous allons diffuser un questionnaire en interne et réaliser une enquête de terrain pour savoir quels sont les sujets qui doivent être évoqués car, pour l’instant, seuls quelques cas nous sont remontés mais leur nombre demeure relativement réduit. Or, on peut penser qu’il ne s’agit pas seulement de quelques cas mais de situations plus générales dans les établissements de santé. Sachant aussi qu’il y a une focalisation sur un culte particulier. L’idée est de rappeler les textes qui s’appliquent en la matière, en particulier la circulaire de 2011 et les textes sur les aumôneries, mais aussi de rappeler concrètement certaines bonnes pratiques qu’il peut être intéressant d’évoquer comme la mise en place du correspondant laïcité, la nécessité d’avoir un débat sur le sujet et d’effectuer un bilan au minimum annuel en commission des représentants des usagers.

 

Quel est l’échéancier prévu ?

R.C. : La commission des usagers doit remettre des propositions au Conseil d’administration de la FHF aux alentours du mois de juin. Puis le Conseil délibérera, l’idée étant qu’ensuite, les établissements sanitaires et médicaux-sociaux s’en emparent pour mieux faire vivre les principes inhérents à la laïcité. Ces propositions n’auront cependant aucune force obligatoire. La FHF n’a en effet aucun pouvoir d’injonction mais seulement d’incitation pour renforcer certaines dynamiques dans les établissements. Je dirais qu’il n’y a pas de dégradation lente du contexte mais simplement une situation qu’il faut traiter avec les outils conceptuels et juridiques que les lois de la République mettent à notre disposition. Simplement, les récents événements de mois de janvier ont incité la FHF, comme la plupart des institutions, à juger nécessaire de remettre ce sujet sur le métier.   

Propos recueillis par Alexandre Terrini

 

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