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Résidence privée et lieu de vie collectif, le paradoxe Ehpad Non classé

Lieu collectif

Lieu collectifL’Ehpad n’est plus le mouroir déshumanisé du siècle dernier qui a marqué l’imaginaire collectif. L’institution se veut aujourd’hui un lieu de vie pour ses résidents dont le bien-être est au cœur du projet d’établissement. Mais l’Ehpad ne peut véritablement devenir un lieu d’épanouissement que si l’on prend la pleine mesure des liens qui unissent les résidents les uns aux autres et des difficultés auxquelles ils sont confrontés dans le cadre de ces relations.

 

 

En l’espace de quelques décennies, la vieillesse s’est profondément transformée avec, notamment, l’allongement de l’espérance de vie et les dispositifs de Sécurité sociale qui remplacent de plus en plus les prises en charge jadis familiales des anciennes générations par les nouvelles. La retraite dure aujourd’hui plus longtemps et est acceptée par tous comme une étape de la vie à part entière. Mais cette évolution sociologique entraîne de nouvelles problématiques, à commencer par l’hébergement des personnes vieillissantes plus nombreuses, plus dépendantes et sur une plus longue période. Cela est particulièrement vrai en Ehpad. D’une part, les résidents ont rarement fait le choix, libre et volontaire, d’y entrer. L’établissement apparaît dès lors comme un cadre de vie contraint, imposé et, qui plus est, le dernier pour l’écrasante majorité d’entre eux.

D’autre part, s’y retrouvent des profils multiples (selon leur degré de dépendance, leurs pathologies, leur parcours de vie, leur environnement personnel et familial etc.), voire antagonistes (différences socio-économiques, religieuses et culturelles, préférences sexuelles etc.). Les résidents en Ehpad forment ou tendent de plus en plus à former, comparativement au siècle dernier, une population extrêmement hétérogène avec des besoins, des attentes et des manières de vivre très divers. Or, la mixité n’est pas toujours chose aisée.

 

Apprendre une nouvelle mixité sociale

Éric Seguin, Directeur général du Syndicat intercommunal à vocation unique (Sivu) des Rives de l’Elorn à Guipavas en Bretagne, l’explique : « La mixité est une notion importante. Mais bien souvent, elle est recherchée par les plus défavorisés ; ceux qui ont moins de difficultés essaient, au contraire, plutôt d’y échapper. » C’est d’ailleurs le cas dans la vie quotidienne, comme en attestent les nombreuses études sociologiques sur la mixité et la reproduction sociales. Mais, dans un cadre « classique », il appartient à l’individu de choisir d’adhérer à cette mixité sociale ou de lui préférer un schéma d’endogamie (sociale, professionnelle, géographique, religieuse). En institution, par la force des choses, il est demandé aux résidents d’apprendre à cohabiter dans ce lieu qu’ils n’ont pas toujours choisi, avec des personnes qu’ils ne connaissent pas et ont encore moins choisies, dans un schéma de vie collective que certains d’entre eux n’ont peut-être même jamais connu. C’est ce que l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) appelle le passage « de chez soi à chez soi dans un chez nous » dans sa « Recommandation de bonnes pratiques – programme Qualité de vie en Ehpad – volet 3 : la vie sociale des résidents ».

Le choc est forcément violent. Comment s’étonner, donc, que certains aient du mal à tisser des liens et n’en nourrissent parfois même pas l’envie ? Éric Seguin insiste: « Une personne qui entre en institution va systématiquement s’autocensurer parce qu’elle ne va pas se considérer chez elle mais chez quelqu’un d’autre. L’autre question, c’est l’institution avec tout le poids de ce qu’elle représente. Tout le sens du travail qu’il faut essayer de mettre en place, c’est d’amener la personne que l’on accueille à se réapproprier et à réinvestir le lieu dans lequel elle est hébergée. C’est seulement grâce à cette étape qu’elle pourra se sentir chez elle. » Et, par là même, développer une vie sociale et tisser du lien.

 

Vie sociale et rôle social

Il convient dès lors de se pencher sur cette notion de vie sociale et sur ce qu’elle englobe : « La vie sociale est l’ensemble des relations que la vie en société nous amène à avoir avec les autres. Elles peuvent être obligatoires (relations avec les collègues de travail, les commerçants, les démarches administratives diverses, médicales), semi-obligatoires (famille) ou choisies librement (amis, activités associatives ou politiques, loisirs), explique l’Anesm. (…) Elle est plus difficilement normative car elle touche à l’humain dans ses interactions avec les autres, dans sa communication et ses relations humaines. » C’est d’ailleurs le cas en Ehpad où existent ces mêmes types de relations obligatoires (la cohabitation dans un même lieu de vie), semi-choisies (comme c’est souvent le cas lors des repas) ou librement choisies (nouvelles amitiés, choix des activités). Par ailleurs, dans la vie sociale, chacun joue un rôle précis, celui qui lui permet de s’intégrer. Or, en Ehpad, les rôles sociaux s’inscrivent dans un contexte de fin de vie marqué par l’arrêt de la vie professionnelle alors que celle-ci conférait un rôle social particulièrement important.

Il convient également de tenir compte des parcours, des habitudes et des diverses cultures des soignants qui ont une place particulière dans cette microsociété qu’est l’Ehpad où « s’entremêlent les relations entre le résident et sa famille, le résident et le personnel, les résidents entre eux, la famille et l’établissement, les professionnels entre eux et les familles entre elles ». De fait, c’est par divers prismes que les rapports humains en Ehpad doivent être appréhendés : complexes, tissés de mille fils, ils doivent pouvoir se créer en toute liberté, sans obligation et dans le respect du droit individuel.     

 


CVS et CDR, créateurs de lien social

Au cœur du projet d’établissement, se trouve le projet de vie sociale. C’est lui qui rythme la vie de l’établissement et c’est également par son biais que les résidents s’approprient le lieu et développent des liens entre eux. Si le Conseil de vie sociale (CVS), qui réunit toutes les parties de l’Ehpad (résidents, direction, soignants, familles, animation etc.), est désormais obligatoire dans chaque établissement, il existe une autre instance, moins répandue, mais tout aussi intéressante. Il s’agit du Conseil des résidents (CDR), sorte de « réunion de copropriété » qui réunit tous les résidents entre eux pour leur permettre d’échanger et de prendre la parole en assemblée. Un conseil social, certes, mais aussi civique où chacun peut exercer dans l’Ehpad son droit inaliénable de citoyen en participant à la prise de décision. 


 

 


L’organisation de l’espace façonne les rapports humains

L’agencement de l’espace et la disposition du mobilier sont loin d’être anodins et participent pour beaucoup à la création de lien social ou à son absence. En effet, l’aménagement des lieux peut être un facteur de convivialité et favoriser l’échange s’il est pensé en conséquence. Aux professionnels, donc, d’y prêter une attention particulière en prévoyant des petits espaces conviviaux et intimes. Outre les lieux classiques que sont la salle à manger, les salons ou même le hall, de tels espaces de rencontre peuvent être imaginés dans les couloirs des étages, près d’une fenêtre qui offre une vue ou une animation (rue, cour d’école) prétexte à des échanges entre résidents ou encore dans des jardins d’été fleuris… Attention également à privilégier des tables de repas où les résidents sont en nombre raisonnable, ce qui favorise la prise de contact et les échanges. 


 

 

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