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« Les directeurs d’Ehpad n’ont pas à assumer les contradictions des pouvoirs publics »

Pour Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), la question de la responsabilité juridique des directeurs d’établissements doit être examinée à travers le prisme du manque de moyens humains et financiers auxquels ils sont confrontés.

Ehpad Magazine : Que pensez-vous du régime de la responsabilité juridique applicable aux directeurs d’établissements ?

Pascal Champvert : Je n’ai pas de position sur le régime juridique en lui-même. Le véritable problème, c’est que les obligations législatives et réglementaires pesant sur les épaules des directeurs d’Ehpad sont lourdes et qu’ils n’ont pas les moyens humains, techniques et financiers pour y faire face. Les résidents ont droit à la sécurité sous toutes ses formes, physique ou encore alimentaire, mais ce droit ne peut pas être entièrement respecté dès lors qu’il n’y a pas, par exemple, suffisamment de personnel dans les locaux. Or, quoi qu’il arrive, la responsabilité civile ou pénale des directeurs peut être engagée. L’un d’eux a ainsi été condamné à cinq mois de prison avec sursis suite à un incendie survenu dans l’un de ses établissements, à Livry-Gargan en région parisienne (en 2004, ce dernier a été reconnu coupable d’homicide involontaire après un incendie ayant tué quatorze personnes âgées de 78 à 98 ans dans la nuit du 6 au 7 décembre 1998, N.D.L.R.). C’est un jugement trop lourd. Le directeur a pâti du manque de moyens à sa disposition et a servi de bouc-émissaire.

E. M. : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les directeurs d’établissements et susceptibles d’engager leur responsabilité ?

 

P. C. : Il y a notamment celles liées aux personnes âgées désorientées qui sortent de l’établissement. C’est souvent la responsabilité de la société ou de l’organisme gérant l’établissement qui est mise en cause mais celle du directeur peut l’être aussi (en cas de mise en danger d’autrui, c’est-à-dire de défaut de surveillance, de négligence, d’imprudence ou de désorganisation du service, N.D.L.R.). Ces situations sont liées au manque de personnel mais aussi à des problèmes politiques et juridiques bien plus fondamentaux. Nous avons, d’un côté, le principe selon lequel les personnes âgées sont des personnes à part entière et bénéficient à ce titre de leur pleine liberté d’aller et venir et, de l’autre, une logique sécuritaire qui voudrait que l’on ne laisse pas ces personnes sortir. Or, sauf décision de justice telle qu’une assignation à résidence, les directeurs d’Ehpad n’ont pas le droit d’empêcher une personne de quitter l’enceinte de l’établissement. Il y a là un vide juridique avec lequel les directeurs doivent composer.

E. M. : Quelles sont les améliorations à apporter ?

P. C. : Les directeurs qui détournent les fonds de l’établissement ou maltraitent les résidents doivent évidemment être poursuivis. En revanche, il faut aider les directeurs honnêtes confrontés à des dysfonctionnements. Leurs obligations doivent être clarifiées. Il existe tellement de règles applicables aux Ehpad que rares sont les directeurs qui les connaissent toutes. Il faut certes privilégier la liberté des résidents mais assumer que cette liberté ne puisse pas toujours être totale. Enfin, il faut peut-être revoir à la baisse certains objectifs, surtout en période de crise comme c’est le cas actuellement. Car remplir de nombreux objectifs tout en faisant des économies est incompatible, voire irresponsable. L’AD-PA est extrêmement engagée sur les questions de sécurité et de qualité mais le rapport entre les moyens et les objectifs donnés aux directeurs d’Ehpad doit être équilibré et raisonnable. Ces derniers n’ont pas à assumer les contradictions des pouvoirs publics.

E. M. : Cette situation pèse-t-elle sur le moral des directeurs ?

P. C. : Ils ressentent un stress de plus en plus important. Il est parfois difficile d’en recruter, notamment dans le secteur public. Et parmi ceux en poste, nous avons entendu parler de quelques cas de suicide, d’un grand nombre d’arrêts maladie ainsi que de plusieurs démissions consécutives à des contrôles musclés de la part des inspecteurs des autorités de tarification. Ceux-ci font parfois preuve de comportements managériaux et de violences verbales lors de leurs contrôles. Nous n’avons pas de chiffres car aucune étude exhaustive n’a encore été réalisée sur le sujet mais il y a une vraie souffrance au travail.

E. M. : Quelles solutions propose l’AD-PA ?

P. C. : Nous veillons à ce que les directeurs ne restent pas seuls face à leurs difficultés et à ce qu’ils puissent en parler avec leurs collègues. Nous les aidons à trouver des solutions personnalisées. Nous organisons des réunions axées sur les risques psychosociaux. Concernant les cas les plus extrêmes, comme les cas de violence psychologique lors des inspections, nous réfléchissons à l’idée d’engager des recours en justice contre les pouvoirs publics. Ce qui est clair, c’est que les directeurs n’ont pas à faire le choix entre répression ou démission.

Nathalie Ratel

Des chiffres qui permettent de relativiser

• En France, moins de dix condamnations pénales sont prononcées chaque année à l’encontre des directeurs d’Ehpad.

• Leur responsabilité civile n’est, quant à elle, quasiment jamais retenue : c’est celle des sociétés ou autorités gestionnaires qui est la plupart du temps mise en cause, lesquelles se doivent d’être dotées d’un bon contrat d’assurance.

• Les condamnations de directeurs liées à des agissements perpétrés en dehors du cadre de leurs fonctions sont également rares. Depuis le début de l’année, seuls quelques cas ont été recensés. Une ancienne directrice d’une maison de retraite située à Maing (Nord) a ainsi été condamnée en janvier à deux ans de prison avec sursis pour avoir détourné des sommes (plus de 40 000 euros) destinées à financer le séjour de personnes âgées au sein de l’établissement. En février, le directeur de la maison de retraite d’Orbec (Calvados), poursuivi pour non-respect du Code des marchés publics et fausse déclaration de dégât des eaux dans le cadre de travaux dans son logement de fonction, a quant à lui écopé de quatre mois de prison avec sursis et de deux ans d’interdiction d’exercer ce type de fonction.

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