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Contention et liberté d’aller et venir en établissement Coeur de métier, Prise en charge, Relation résidents, Santé et sécurité

Contention

En 1997, la Cour de Cassation avait condamné deux gestionnaires d’une maison de retraite à 6 mois d’emprisonnement pour délit de violences volontaires envers plus d’un tiers des pensionnaires dont ils avaient la charge. Il leur a été reproché de soumettre les personnes âgées à des contentions systématiques, chaque jour, de 18 h 30 au lendemain matin. Cette décision de justice rappelle que l’usage de systèmes de contention n’est préconisé qu’en dernier recours, car il atteint la dignité des personnes âgées. En EHPAD, la prescription d’une contention doit ainsi être aujourd’hui fortement encadrée, et, à défaut d’être obligatoires, diverses bonnes pratiques sont recommandées lorsque la décision devient inévitable. Avec l’intervention de Katherine Gardella, retrouvez dans EHPAD Magazine tout ce que les professionnels en établissements sanitaires et médico-sociaux doivent connaître sur la contention : ce que c’est, quelle est son efficacité et s’il existe des stratégies alternatives et comment les mettre en place.

La contention, qu’est-ce que c’est ?

Lorsque la thématique de la contention et de la liberté d’aller et venir en EHPAD est abordée très rapidement le système des barrières de lits, installées pour réduire les risques de chute des personnes âgées, est évoquée. De nombreux autres types de contention existent pourtant, mais il convient dans un premier temps d’en savoir davantage sur la véritable définition de cette pratique avant de s’étendre sur ses différentes variantes.

Étymologiquement, plusieurs termes latins semblent être à l’origine du mot contention. Conteniere, qui signifie maintenir ensemble et contentio qui se traduit par lutte, sont ainsi des termes ayant directement un lien avec le mot contention. Selon l’Encyclopédie Universalis dans sa version de 2005, l’une des définitions du mot contention désigne l’immobilisation d’un malade ou d’un animal, pour mieux le soigner.

Dans la pratique, au sein des établissements d’accueil des personnes âgées dépendantes, la contention est souvent prescrite pour prévenir les risques de chutes, pour maîtriser une agitation ou pour restreindre une déambulation. Les professionnels ont recours à cette pratique, qui suscite des problématiques diverses autour des questions d’ordre éthique et déontologique.

C’est l’une des raisons pour lesquelles, en 2000, la Haute Autorité de Santé alors ANAES ou Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé, a d’ailleurs amené une précision importante quant à la définition de la contention. Lorsqu’elle est physique, dite également passive ou mécanique, celle-ci se « caractérise par l’utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements qui empêchent ou limitent les capacités de mobilisation volontaire de tout ou d’une partie du corps dans le seul but d’obtenir de la sécurité pour une personne âgée qui présente un comportement estimé dangereux ou mal adapté ». La contention manuelle quant à elle n’est autre que l’immobilisation ou le maintien d’une personne en ayant recours à la force physique.

Tour d’horizon des différentes formes de contention

Outre sa variante mécanique et physique, d’autres catégories de contention existent également. Ainsi, celle dite médicamenteuse ou pharmacologique est l’un des types de contention les plus pratiqués. Concrètement, elle consiste à administrer des psychotropes à une personne âgée dans l’objectif de réduire sa mobilité. La contention architecturale quant à elle se présente comme l’utilisation soit des aménagements divers et variés d’une pièce ou soit du local lui-même afin de réduire la libre mobilité des résidents. Enfin, la contention psychologique cherche à contraindre une personne âgée en mouvement en lui lançant diverses injonctions de manière répétée : « ne bougez pas, vous allez chuter », « restez au lit, vous risquez de tomber », etc.

Toujours en guise d’illustration, l’administration de somnifères, de tranquillisants ou de certains neuroleptiques sédatifs s’apparente ainsi à une contention pharmacologique, car ces produits sont en quelque sorte destinés à réduire les mouvements d’une personne âgée. Les dispositifs pour la mise en place d’une contention architecturale sont quant à eux nombreux, allant des portillons d’escaliers aux clôtures en passant par les fermetures de chambre avec des codes, par exemple. Un éventail d’équipements et de dispositifs permet enfin de recourir à la contention mécanique. L’objectif de la prescription est dans ce cas de maintenir la personne âgée sur un fauteuil ou dans un lit, en ayant recours à l’usage de barrières, de ceintures, de harnais, de gilets et de sangles thoraciques, d’attaches de poignets et de chevilles, de sièges gériatriques, etc.

Prescription d’une contention pour diverses situations

Dans la pratique, de nombreux motifs peuvent justifier la prescription d’une contention. La protection et la sécurité de la personne âgée elle-même comptent ainsi parmi les principales raisons qui peuvent amener les professionnels de santé à faire usage de cette pratique. Il en est ainsi de la crainte des chutes par exemple. L’installation de barrières ou de demi-barrières de lit, qui sont des dispositifs de contention, est ainsi l’une des résolutions adoptées dans une telle situation.

Outre les craintes de risques divers sur la santé du patient, la prescription d’une contention peut également être constatée lorsqu’une personne âgée devient agressive ou devient excessivement agitée. Lorsque le résident âgé déambule et que cette situation pourrait le mener à l’épuisement, les équipes en établissement peuvent également prendre la décision d’une contention.

Chargée de Mission pour Asshumevie, association œuvrant pour la garantie de la bientraitance en établissements sanitaires et médico-sociaux avec l’attribution du label Humanitude, Katherine Gardella estime que « la contention exceptionnelle peut être prescrite s’il y a un risque pour la personne âgée, par exemple, si elle se met en danger ».

Pour cette ancienne cadre supérieure de santé, les divers cas qui suivent ne sont pas exhaustifs, mais sont susceptibles de conduire à la prescription de manière exceptionnelle de la contention :

  • risque d’arracher des dispositifs, perfusions, transfusions, etc.,
  • risque de s’arracher un pansement, un plâtre, etc.,
  • risque de se blesser, risque de partir s’il y a un danger proche,
  • ou si la personne âgée risque de mettre en danger l’entourage.

En l’absence de statistiques récentes sur le sujet, les chiffres présentés par l’ANAES en 2000 permettent de constater que la contention mécanique et physique des personnes âgées est une pratique loin d’être exceptionnelle.. Ainsi, à la fin du XXe siècle, la prévalence des contentions était estimée entre 18 et 22 % chez les personnes âgées de plus de 65 ans durant un séjour à l’hôpital. Au sein des établissements de long séjour, ce taux variait de 19 à 84,6 %. Cette prescription soulève pourtant des questionnements variés, et notamment sur les dimensions éthiques et déontologiques.

Liberté d’aller et venir, éthique et contention physique

En matière de réglementation, les lois ainsi que les chartes diverses et variées garantissent la liberté fondamentale d’aller et venir à tous les individus, et en particulier aux personnes âgées en établissement. Ainsi, en son article 16, le Code civil affirme tout d’abord les principes d’interdiction de toute atteinte, de l’inviolabilité ainsi que du respect du corps humain. En ce qui concerne la population des seniors en établissement en particulier, la charte des droits de la personne âgée en situation de handicap et de dépendance souligne par ailleurs que les concernés conservent la liberté de communiquer, de se déplacer et de participer à la vie en société.

L’objectif de la contention physique étant d’entraver ou de limiter les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps d’une personne âgée, de sa prescription naît donc une contradiction évidente avec l’esprit des lois et des chartes. Cette opposition est d’autant plus renforcée quand il est constaté qu’aucun texte réglementaire n’empêche l’usage de l’un des systèmes de contention physique ou mécanique précédemment évoqués. En réalité, si la prescription d’une contention est autorisée sur une personne âgée en établissement, plusieurs conditions doivent tout d’abord être réunies, et l’épuisement de toutes les autres alternatives doit être constaté, en amont de la validation de la décision.

Dans l’absolu, la contention physique est donc en totale opposition avec l’éthique, en contraignant les personnes âgées dans leur droit fondamental à bouger et à se déplacer. Sur ce point en particulier, Katherine Gardella a un point de vue bien tranché en affirmant que cette pratique « va à l’encontre de la liberté d’aller et venir et qu’elle devrait être interdite ». Les professionnels en établissement doivent ainsi se rappeler en permanence que « la pose d’une contention doit rester exceptionnelle, provisoire, prescrite et avoir un plan de surveillance et un plan de compensation », comme le précise la chargée de mission Asshumevie.

Pour les professionnels de santé, la liberté d’aller et venir des personnes âgées doit en effet être la règle, et la prescription de la contention n’est alors envisagée qu’en dernier recours. L’existence de divers textes régissant les professions médicales, comme le serment d’Hippocrate ainsi que les différents décrets relatifs à la déontologie des métiers du secteur santé mettent d’ailleurs en exergue l’ambition et la finalité des actions qui sont d’apporter des soins, de promouvoir l’autonomie ou d’exercer ses fonctions dans le respect de la vie, de la dignité et de la personne.

Efficacité et risques de la contention

Outre leur antagonisme avec l’éthique et la déontologie, l’absence d’études scientifiques concluantes sur l’efficacité des mesures de contention donne également lieu à l’apparition d’un certain sentiment de méfiance envers cette pratique. À l’opposé de dégager des avantages directement constatables, la contention crée en effet des risques nouveaux tant pour la personne concernée que pour l’entourage et les professionnels œuvrant au sein des établissements.

À l’instar de l’apparition ou de l’aggravation d’une agitation ou d’une confusion chez le résident âgé visé par la démarche, diverses complications sont en effet susceptibles de se présenter durant une contention. Les escarres, la perte d’appétit, les contractures et les douleurs physiques sont ainsi autant de syndromes d’immobilisation que la prescription d’une contention peut éventuellement provoquer.

Il a même été remarqué que dans certains cas, cette pratique mène vers une amplification de la perte d’autonomie ainsi que vers une augmentation de la durée d’hospitalisation. Par ailleurs, la mortalité des personnes âgées est également concernée, et des décès par asphyxie, par étranglement ou résultants de traumatismes en lien avec la contention ont déjà été recensés.

Si les risques encourus par les résidents existent, des effets pernicieux de la pratique de la contention sont remarqués chez les professionnels en charge d’appliquer ces dispositifs. Il arrive ainsi que certains membres des équipes de soins éprouvent des difficultés à concilier la contention avec le respect de la dignité et de l’autonomie des résidents. Lorsque c’est le cas, le sentiment de sécurité attendu et recherché par la mise en place d’une contention fait alors défaut, et en lieu et place les professionnels peuvent ressentir angoisse et pénibilité.

Les alternatives à la contention

Au vu de ces risques avérés liés à une contention et en raison de son opposition avec l’éthique et la déontologie, il est donc plus que recommandé que sa prescription soit décidée seulement en cas d’urgence et uniquement en dernier recours. La recherche d’alternatives devient ainsi inévitable, dès lors que la situation d’une personne âgée le requiert, comme le souligne la chargée de mission d’Asshumevie : « avant de prescrire une contention il faut avoir la certitude que toutes les alternatives aient été envisagées et avoir fait la balance bénéfices/ risques car les risques sont importants ».

Katherine Gardella amène ainsi des pistes concrètes en vue de définir une alternative à la contention au sein de chaque établissement. La chargée de mission Asshumevie précise ainsi que « pour définir les stratégies, il faut tout d’abord faire un état des lieux :
– pour quelle raison a-t-on pensé mettre une contention ?
– par exemple, en cas d’agitation d’un résident âgé, faire une recherche holistique de tout ce qui peut en être à l’origine : clinique, biologique, iatrogène, mais aussi relationnelle, environnementale, contextuelle, analyse des besoins : boire, manger, éliminer, dormir, être en relation, des problèmes cutanés, douleurs, installation, peurs, angoisses, incompréhension de la situation, etc.,
– toujours réfléchir à plusieurs, les soignants de proximité savent observer et faire des liens pour trouver des solutions et faire preuve d’inventivité. »

Ces pistes sont en totale conformité avec les nombreuses propositions de l’ANAES en vue de limiter le recours à la contention physique des personnes âgées en établissement sanitaire et médico-social. Ainsi, il est recommandé avant tout que les professionnels de santé fassent une évaluation soigneuse des besoins et de l’environnement du patient. Chaque équipe doit ensuite avoir la possibilité d’adapter une alternative en fonction du cas de chaque résident dont la situation requiert une observation.

Par exemple, pour les risques liés à la déambulation excessive, les sources médicales sont en premier lieu explorées : s’agit-il d’une situation issue d’une anxiété, en lien avec un nouveau traitement médicamenteux ou les conséquences d’une douleur, etc. Différentes mesures peuvent ainsi être adoptées en fonction des réponses identifiées. Ensuite, une adaptation de l’environnement de la personne âgée permet par ailleurs de contrôler la situation, par exemple, en aménageant des espaces de déambulation sécurisés ou en améliorant la sécurité des lieux. L’accompagnement de la personne âgée est enfin primordial, tout au long de la démarche : faciliter son orientation en lui présentant l’agencement des locaux et capter son attention à l’aide de signalétiques visuelles.

Au sein de certains EHPAD, la pratique de la contention est même inexistante, comme l’indique Katherine Gardella qui précise d’ailleurs que « de nombreux établissements labellisés Humanitude l’ont supprimé complètement en utilisant des alternatives : lits larges, positionnements avec coussins, accompagnement individualisé, pour prévenir, anticiper et éviter de la mettre en place ».

Les bonnes pratiques recommandées lorsque la contention est inévitable

La contention physique et mécanique étant donc un processus de soins à risque, l’ANAES a publié en 2000 des recommandations quand sa prescription est inévitable en établissement. Un groupe de travail a ainsi énoncé 10 critères afin d’apporter un maximum de sécurité à cette pratique.

En établissement, toute prescription d’une contention repose ainsi sur la décision de l’équipe pluridisciplinaire. Sur ce point en particulier, Katherine Gardella soutient que « la décision ne peut en aucun cas être prise par une seule personne, il faut une décision pluridisciplinaire et assurer la traçabilité de la réflexion en notant les membres présents dans le dossier de la personne et, dans les cas, son utilisation doit être réévaluée toutes les 24 heures pour juger de son maintien ou non avec bien entendu une surveillance de l’effet de la contention sur la personne ». La prescription d’une contention doit ainsi correspondre à un référentiel observant les différents critères suivants :

  • Critère 1 : la contention est réalisée sur prescription médicale. Elle est motivée dans le dossier du patient.
  • Critère 2 : la prescription est faite après l’appréciation du rapport bénéfice/risque pour le sujet âgé par l’équipe pluridisciplinaire.
  • Critère 3 : une surveillance est programmée et retranscrite dans le dossier du patient. Elle prévient les risques liés à l’immobilisation et prévoit notamment les soins d’hygiène, la nutrition, l’hydratation et l’accompagnement psychologique.
  • Critère 4 : la personne âgée et ses proches sont informés des raisons et buts de la contention. Leur consentement et leur participation sont recherchés.
  • Critère 5 : le matériel de contention sélectionné est approprié aux besoins du patient. Il présente des garanties de sécurité et de confort pour la personne âgée. Dans le cas de contention au lit, le matériel est installé sur les parties fixes, au sommier ou au cadre du lit, jamais au matelas ni aux barrières. Dans le cas d’un lit réglable, les contentions sont fixées aux parties du lit qui bougent avec le patient. En cas de contention en position allongée, les risques liés aux régurgitations et aux escarres sont prévenus.
  • Critère 6 : l’installation de la personne âgée préserve son intimité et sa dignité.
  • Critère 7 : selon son état de santé, la personne âgée est sollicitée pour effectuer des activités de la vie quotidienne et maintenir son état fonctionnel. La contention est levée aussi souvent que possible.
  • Critère 8 : des activités, selon son état, lui sont proposées pour assurer son confort psychologique.
  • Critère 9 : une évaluation de l’état de santé du sujet âgé et des conséquences de la contention est réalisée au moins toutes les 24 heures et retranscrite dans le dossier du patient.
  • Critère 10 : la contention est reconduite, si nécessaire et après réévaluation, par une prescription médicale motivée toutes les 24 heures.

 

En savoir plus : Questionnaire pour Mme Katherine Gardella

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