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L’interview de Philippe Verger Les interviews

Changer notre approche collective du médicament

Le directeur adjoint du CHU de Limoges, en charge de la filière gériatrique de l’établissement ainsi que de deux Ehpad publics autonomes, a été missionné par Michèle Delaunay pour examiner la politique du médicament en Ehpad. Un domaine où tout est à faire ou, plus exactement, à refaire.

Quelles sont les lignes directrices de votre action ?

Philippe Verger : Elle porte sur le volet qualitatif et organisationnel de la prise en charge médicamenteuse des personnes âgées en Ehpad. L’objectif d’optimisation des prescriptions se traduira par une meilleure utilisation des crédits de l’Assurance maladie tout en améliorant la qualité de l’accompagnement des résidents. C’est avant tout la qualité de la prise en charge globale du sujet âgé qui est au centre des préoccupations de la mission.
Il y a un enjeu fort de communication et de pédagogie à trouver pour changer notre approche collective du médicament. Il s’agira à chaque fois de recenser les bonnes pratiques mises en œuvre sur le terrain, que cela concerne la prescription, le circuit du médicament ou l’organisation de la prise en charge. À cet égard, nous sommes preneurs de toutes les contributions. Nous attendons que, via leur fédération et leur syndicat ou même directement auprès de la mission ([email protected]), les Ehpad  nous fassent remonter les bonnes pratiques et les outils qui ont été mis en œuvre et ce, afin de capitaliser ces initiatives pertinentes.
Dans le même temps, nos travaux doivent permettre d’assurer le suivi de la sortie d’expérimentation portant sur l’introduction des médicaments dans les budgets soins de quatre-vingts Ehpad dépourvus de PUI.

Quatre principaux groupes de travail ont été mis en place. Pouvez-vous présenter leurs attributions ?

P. V. : Le premier groupe, qui a pour thème « Agir sur la prescription grâce à l’amélioration des pratiques professionnelles », est l’un des groupes majeurs du dispositif dans la mesure où l’optimisation de la prise en charge médicamenteuse passe par une aide à la prescription gériatrique des médecins exerçant dans les Ehpad. Cette dernière a toute sa place dans le cursus académique et plus particulièrement dans la formation continue médicale. Nous sommes dans la complexité quand il s’agit de la prescription gériatrique, laquelle se caractérise par le fait que la personne âgée est le plus souvent dans une situation de polypathologie, ce qui a pour effet de multiplier le nombre de molécules qu’on lui administre. L’objectif est de délivrer le bon médicament et la bonne posologie mais aussi d’organiser le suivi clinique et biologique lorsque le médicament a été prescrit. En somme, promouvoir les meilleurs outils pour proposer la meilleure prescription possible. Nous serons par ailleurs attentifs à ce que ces propositions soient aussi au bénéfice des personnes âgées qui sont à leur domicile. Enfin, il ne faudra pas oublier que pour mieux accompagner les résidents, il peut y avoir d’autres alternatives à une prise en charge strictement médicamenteuse, en particulier chez les personnes âgées présentant des troubles cognitifs.

Le groupe 2 s’intitule quant à lui « Travailler ensemble : clarifier les rôles des professionnels et renforcer la coopération »…

P. V. : Sa finalité est de mieux définir le rôle de chacun et d’identifier les conditions d’une coopération renforcée entre les acteurs intervenant dans la chaîne du médicament ou devant en avoir une connaissance précise pour bien informer les personnes âgées et leur famille. A ce jour, les niveaux de cette coopération sont très variables selon les établissements. Il est utile d’instaurer une coordination entre tous les acteurs qui travaillent autour de la personne âgée en amont et en aval du médicament, qu’il s’agisse des professionnels salariés des Ehpad ou des intervenants médicaux et paramédicaux extérieurs et que l’Ehpad soit avec ou sans Pharmacie à Usage Intérieur (PUI). Il est primordial que toutes les conditions soient réunies afin que les acteurs puissent se connaître, se parler, se comprendre et travailler ensemble. En la matière, la Commission de coordination gériatrique est une piste à privilégier.

« Nous sommes dans la complexité quand
il s’agit de la prescription gériatrique. »

Quid du groupe 3, « Intégrer le circuit du médicament dans une organisation de travail adapté » ?

P. V. : Il vise à identifier les outils et les organisations permettant de sécuriser au mieux le circuit du médicament et de réduire ainsi le risque iatrogène mais aussi à inscrire la prise en charge médicamenteuse dans une organisation plus globale des soins de l’accompagnement des résidents. Il faut que l’on sache ce qui se passe à partir du jour où la prescription a été réalisée jusqu’à la prise du médicament. Cela implique de bien cibler les étapes mais aussi d’instaurer un suivi, un contrôle et une coordination au niveau des acteurs avec, à la clef, un protocole d’organisation de la chaîne du médicament. Le circuit du médicament – de l’approvisionnement au suivi thérapeutique en passant par la distribution, l’administration et le contrôle de la prise – doit répondre à un certain nombre de règles précises et que celles-ci soient partagées et connues de tous.  Il y a donc toute une pédagogie active à mener afin de garantir une sécurité maximale et de tendre vers l’excellence dans le cadre d’une démarche qualité.

Le groupe 4, lui, a pour comme feuille de route « Maîtriser et piloter le circuit du médicament en Ehpad grâce aux systèmes d’information »

P. V. : Il devra formuler des recommandations en matière d’usage des Systèmes d’information (SI) pour permettre la mise en œuvre des bonnes pratiques dans le circuit du médicament. Un regard sera porté sur ce qui a pu être mis en place dans « l’interfaçage » entre certains Ehpad et officines qui assurent l’approvisionnement en médicaments. Enfin, il est à noter qu’un cinquième groupe est en cours de définition. Il traitera des problématiques d’innovation et de recherche avec l’objectif d’agir en amont sur la manière dont sont conçus les médicaments pour améliorer la prise en compte des spécificités gériatriques, en particulier en ce qui concerne la posologie, et faciliter l’intégration des personnes âgées de plus de 75 ans dans les programmes de recherche. Et ce, avec comme objectif d’optimiser la prise en charge médicamenteuse de la personne âgée d’un point de vue médical, social et économique (efficacité des médicaments, iatrogénie médicamenteuse, mésusage des médicaments en gériatrie…).

Sur quoi vont déboucher vos travaux ?

P. V. : Les différents groupes doivent se réunir trois fois, en avril, mai et juin prochains. Leurs travaux seront présentés au comité de suivi début juillet. Ces préconisations feront-elles l’objet d’une loi ou de recommandations sous forme de guide ? Conformément à ma lettre de mission, je remettrai à Madame la Ministre, en septembre un projet de plan d’actions soumis à son appréciation.

Propos recueillis par Alexandre Terrini

 

Une feuille blanche ?

L’expérimentation relative à la réintégration des médicaments dans les forfaits soins en Ehpad a tourné court. Comme le rappelle Ronan Kerdraon, sénateur des Côtes d’Armor et rapporteur de la Loi de financement de la Sécurité sociale, « deux effets principaux en étaient attendus : une rationalisation de la prescription conduisant à une meilleure maîtrise des volumes des médicaments consommés » et « une diminution globale des dépenses prises en charge par l’Assurance maladie ».
Or, le rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales, réalisé par Michel Thierry en 2012, met en évidence l’absence d’avantage significatif, en particulier sur le plan de la maîtrise des coûts.
C’est pourquoi Michèle Delaunay souhaite organiser la sortie de l’expérimentation en sécurisant le basculement de la prise en charge des médicaments sur l’enveloppe soins de ville pour l’ensemble des établissements concernés et en privilégiant désormais une approche qualitative et organisationnelle. Telle est la tâche de la mission Verger sur un sujet maintes fois débattu mais avec un nouveau regard.

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