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Les TIC créatrices de liens sociaux Non classé


Pas nécessairement demandeuses, les personnes âgées seraient pourtant partantes lorsqu’il s’agit d’utiliser les Technologies de l’information et de la communication (TIC) au sein de leur Ehpad. Elles leur permettent de retrouver un lien social et de bénéficier d’animations variées.

Exit les jeux de société et les supports papier, le numérique a désormais toute sa place au sein des Ehpad sous forme d’applications pour tablettes ou d’ordinateurs à écran tactile. Certes, les personnes âgées ne vont pas forcément réclamer la possibilité d’utiliser les TIC car elles ne connaissent pas toujours leur existence. « Elles ne demandent jamais rien et se contentent de ce qu’elles ont mais ce n’est pas parce qu’un besoin n’est pas exprimé qu’il n’existe pas », estime Salah Amirou, créateur d’Ailyan. Cette entreprise propose aux Ehpad, Ergomind, une tablette d’une taille de 20 pouces. Il s’agit d’un outil complet d’animation, de divertissement, d’information, de stimulation cognitive et de maintien du lien familial. Il y a deux ans, lorsqu’il a commercialisé son produit, désormais implanté dans une trentaine d’établissements, Salah Amirou a dû faire face à une certaine réticence de la part des personnels administratifs des Ehpad, notamment des directeurs, qui ont considéré que les personnes âgées ne pourraient pas utiliser la tablette. « Mais finalement, nous les avons accompagnés et formés, aussi bien les résidents que les personnels techniques et de soins, et très vite, ils ont considéré que notre outil était simple d’utilisation », se félicite-t-il tout en reconnaissant avoir été le premier surpris car il s’agit encore d’une génération qui a très peu utilisée les ordinateurs.

Ludique avant tout

Pour élaborer son produit, l’équipe d’Ailyan est partie du principe que les personnes âgées peuvent faire un blocage psychologique vis-à-vis de l’utilisation des TIC. « Nous avons compris que ce blocage était lié à la peur de l’échec, de ne pas savoir s’en servir, explique Salah Amirou. Les personnes se brident et au lieu d’essayer, la peur l’emporte. » Pour lever ce premier verrou et faire en sorte que l’outil soit adopté, l’usage de l’ordinateur, de la visioconférence et du mail a été simplifié. L’équipe travaille d’ailleurs avec le Centre d’expertise national en stimulation cognitive de l’hôpital Broca (AP-HP) sur les approches ludiques et innovantes à développer. La tablette contient ainsi une interface simple et dépouillée. « L’utilisateur n’est jamais perdu », assure Salah Amirou.  La société Dynseo fait elle aussi partie des sociétés qui ont développé des TIC en Ehpad en proposant des applications en santé pour personnes âgées, accessibles sur tablette. Cette entreprise a également commencé par travailler avec l’hôpital Broca pour repérer les symptômes de la maladie d’Alzheimer. « Puis nous avons mené des ateliers en Ehpad pour connaître les jeux préférés des personnes âgées avant de concevoir des programmes de jeux de mémoire élaborés avec des neuropsychologues », indique Justine Sauquet, fondatrice de Dynseo. L’application, aujourd’hui présente dans environ quatre-vingt-cinq établissements, porte tout à la fois sur des proverbes, la cuisine, la géographie, la culture générale, afin de stimuler l’utilisateur.

Tous ces outils peuvent être utilisés par les résidents lorsqu’ils sont seuls et qu’ils ne souhaitent pas nécessairement se mêler aux autres, mais aussi en petit groupe de trois-quatre personnes sans animateur ou alors en plus grand nombre avec des jeux accessibles à tous sous la houlette de l’animateur, de l’ergothérapeute et du psychologue. « Sur notre tablette, il est également possible de créer des comptes individuels pour chaque résident afin qu’ils puissent s’y connecter pour voir leurs photos ou échanger par email ou visioconférence avec leurs proches, précise Salah Amirou. Les contenus des applications sont également personnalisables et permettent ainsi aux personnes âgées d’utiliser leurs photos et donc leurs souvenirs pour y jouer, ce qui augmente leur intérêt pour lutter contre l’ennui. » L’utilisation du mail et de la visioconférence dépend en revanche de l’implication du personnel accompagnant.

Quels bénéfices ?

Les effets constatés des TIC sont plutôt encourageants car « avec l’utilisation de la tablette, certains résidents qui étaient mutiques se mettent à parler tandis que d’autres vont se calmer », observe Justine Sauquet.

Ces outils agissent sur les liens sociaux et les pratiques sociales en permettant la création de liens entre les résidents, entre les résidents et les professionnels de l’Ehpad, et enfin, entre les résidents et leur famille. Le recours aux TIC peut ainsi être vu comme une rupture de l’ennui. « Dans la journée d’une personne âgée en Ehpad, il y a des trous dans les activités, souligne Salah Amirou. De fait, l’usage de la tablette permet de proposer autre chose que la télévision et rend les personnes âgées plus actives. » « Pour certains résidents, cela leur rappelle la période où ils étaient actifs avec la possibilité d’avoir une activité régulière », ajoute Marc-Eric Bobillier-Chaumon, professeur de psychologie du travail et psychologie ergonomique et Directeur adjoint du Groupe de recherche en psychologie sociale (GRePS) à l’Université Lyon 2. Il a conduit une étude collective au sein de sept Ehpad pour évaluer l’impact des TIC (outils de messagerie, jeux de stimulation cognitive et conception de journaux avec les outils de la PAO) sur les personnes âgées. Verdict ? Les résidents peuvent utiliser ces outils pour conserver des relations et des liens, voire créer une attractivité à l’intention de leurs proches qui ne viennent pas les voir à l’Ehpad. Les résidents sont satisfaits de pouvoir communiquer avec leur famille, de voir grandir leurs petits-enfants car tous leurs besoins ne sont pas nécessairement couverts par le téléphone. « Ces dispositifs sont utilisés pour retrouver une proximité virtuelle et devenir un centre d’intérêt, affirme Eric Bobillier-Chaumon. Cela engendre également des valorisations et des gratifications accordées par les proches envers les personnes âgées qui s’approprient l’informatique. Il y a un apprentissage réciproque possible avec les petits enfants, ce qui joue sur l’estime de soi. »

Mais attention, ces technologies peuvent parfois être révélatrices de difficultés. L’estime de soi peut se dégrader lorsque la personne prend conscience qu’elle ne se rappelle plus ce qu’elle a appris la semaine d’avant. De même, « y a-t-il des personnes âgées qui souhaitent se former aux technologies pour recréer du lien avec leur famille distante. Elles pensent avoir des nouvelles plus fréquemment en envoyant des emails lesquels restent parfois sans retour. La technologie peut alors révéler des dysfonctionnements sociaux et une rupture sociale », met en garde Marc-Eric Bobillier-Chaumon. Et puis, il faut que les TIC soient pleinement intégrées aux activités sous peine de générer des tâches supplémentaires pour les professionnels. Leur usage doit donc être pensé globalement.

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