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Médicaments écrasés : une technique souvent mal maîtrisée Non classé

Piler ou broyer les médicaments est parfois le seul moyen pour les résidents de les ingérer. Quitte à altérer leur efficacité et à les exposer, comme les soignants d’ailleurs, à des risques souvent dus à de mauvaises habitudes.

L’une des facettes de la problématique du médicament en Ehpad et, plus largement, chez la personne âgée, est connue : « Il y a beaucoup de prescriptions médicamenteuses tandis que les résidents sont souvent sujets à des troubles de la déglutition ou du comportement, ce qui amène à modifier l’apport des médicaments qu’on leur donne. Or, les alternatives que sont les sondes gastriques ou la voie parentérale sont réservées aux cas aigus et transitoires », résume le Pr Jean Doucet du CHU de Rouen. C’est pourquoi l’écrasement des médicaments est une solution mais, bien sûr, pas la seule. Surtout, elle impose de respecter un ensemble de bonnes pratiques sous peine d’altérer voire d’annihiler les effets désirés de la prescription.
Or, à ce jour, c’est encore loin d’être le cas. Une enquête réalisée en juin 2009 dans toutes unités de gériatrie (Ehpad, USLD, SSR, court séjour) du CHU de Rouen est, à cet égard, édifiante : 96,8 % des médicaments écrasés pour un patient l’étaient ensemble par une infirmière dépourvue de protections (gants, masque), le plus souvent avec un mortier (92,2 %) commun à plusieurs malades (48,8 %) et nettoyé entre deux patients dans seulement 3,3 % des cas. Pire, 41,5 % des comprimés ou gélules administrés après écrasement avait une forme galénique interdisant un tel procédé. Sans compter une conservation des substances pilées dans des supports divers sans mention des produits concernés et de surcroît à l’air libre (61,7 %). En somme, tout ce qu’il ne faut pas faire.

L’ensemble des acteurs du soin concernés

Bien sûr, les circonstances atténuantes sont réelles. D’abord, des personnels en nombre limité alors que l’écrasement des médicaments dans les règles de l’art s’avère assez chronophage. Surtout, lesdites règles « ne sont pas enseignées dans les écoles d’infirmières si bien que ces dernières ne les connaissent pas », déplore Jean Doucet.
En la matière, les conséquences dans l’exercice au quotidien sont loin d’être anodines : risque d’interaction (chimique ou autre) entre les médicaments mais aussi entre le médicament et le véhicule, incertitude quant aux doses réellement administrées (le plus souvent sous-dosage à cause des déperditions), erreur dans l’administration des médicaments à des résidents auxquels ils n’étaient pas destinés, manque de traçabilité ou encore interactions potentielles entre les médicaments destinés à des malades différents. La liste est longue.
Pour s’épargner de tels périls, ils convient d’abord de prendre conscience que l’écrasement des médicaments concerne l’ensemble des acteurs du soin, du médecin à l’infirmière en passant par le pharmacien. Il les mobilise lors des trois étapes que sont la prescription, la préparation et l’administration. Et celles-ci sont intimement liées, ce qui impose aux professionnels de santé de communiquer constamment entre eux. Un bon moyen, assure Jean Doucet, « d’identifier les problèmes de façon beaucoup plus pertinente et sans attendre ».

Un problème secondaire pour les laboratoires

Par ailleurs, le leitmotiv consiste à éviter, à chaque fois que cela est possible, de recourir à l’écrasement. En amont, autrement dit en ce qui concerne la prescription, il convient donc de limiter l’écrasement aux médicaments indispensables mais surtout de chercher des alternatives galéniques (solution buvable…) ou thérapeutiques médicamenteuses (principe actif équivalent avec une galénique adéquate) voire non médicamenteuses. En règle générale, les classes pharmacologiques principalement concernées sont les psychotropes et les antalgiques. Si l’écrasement s’avère la seule solution, il est impératif d’en faire figurer le motif sur la fiche de prescription. Enfin, il est pertinent de contacter la pharmacie justement pour trouver une alternative thérapeutique ou, à défaut, pour connaître les médicaments – notamment cytotoxiques –  qui nécessitent de prendre des précautions particulières lors de leur préparation. De même, le pharmacien doit-il mettre à la disposition (via un site Intranet) des prescripteurs et des infirmières une liste de médicaments qui peuvent être écrasés. Il est en outre tenu de prendre l’initiative d’informer spécifiquement l’infirmier si un médicament prescrit ne se prête pas à un écrasement, par exemple un comprimé à libération prolongée (antalgique). Quant aux gélules, elles peuvent en principe être ouvertes mais elles n’ont pas à être ensuite écrasées.
Toute la difficulté est qu’il n’existe pas de référentiels précis et exhaustifs des médicaments susceptibles d’être écrasés. En la matière, l’information est donc assez empirique et c’est le plus souvent aux professionnels de santé d’effectuer les démarches pour l’obtenir. Dans le doute, ils peuvent ainsi se connecter sur Internet ou contacter les laboratoires concernés sachant qu’il est fréquent que ceux qui commercialisent la même molécule active aient des avis divergents… Quand ils en ont un car l’écrasement des médicaments et leurs éventuels effets secondaires ne sont pas, à leur yeux, d’un grand intérêt. La preuve, ils ne diligentent quasiment jamais d’études sur le sujet ni ne sont enclins à modifier la forme galénique des substances qu’ils fabriquent. Pourtant, cela faciliterait la vie d’un nombre croissant de patients et de soignants.

Alexandre Terrini

 

Quelles recommandations appliquer ?

Le groupe de travail qui a diligenté, en juin 2009, l’enquête sur l’écrasement des médicaments a, à la suite de cette étude, décliné un ensemble de recommandations relatives notamment à la préparation et à l’administration. Des préconisations exigeantes mais incontournables pour ne pas s’exposer à des effets secondaires importants.

Avant même la préparation
– Éviter autant que possible l’écrasement par un dialogue avec le prescripteur ou la pharmacie pour trouver d’autres formes adaptées.

La préparation
– Elle doit être assurée par une infirmière.
– Vérifier si le médicament est écrasable.
– Se laver les mains avant et après la manipulation.
– Utiliser un système écraseur-broyeur par patient.
– Écraser les médicaments le plus finement possible et administrer les médicaments un à un.
– Écraser le médicament immédiatement avant de l’administrer. Sinon, refaire la préparation.
– Laver le matériel à l’eau et au savon après chaque administration.

L’administration
– Éviter d’utiliser un récipient intermédiaire entre l’écrasement et le transfert dans la substance-véhicule. Sinon, en utiliser un sans relief sur lequel figure le nom du patient et du médicament.
– Le véhicule doit être neutre (eau épaissie) quitte à être légèrement aromatisé.
– Respecter les horaires d’administration par rapport aux repas.
– L’administration doit être réalisée par l’infirmière (éventuellement en collaboration avec un aide-soignant).
– Respecter les précautions particulières de manipulation de certains médicaments.
– Se laver les mains avec une solution hydro-alcoolique entre chaque patient.

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