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Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé nous parle des futures orientations du secteur Les interviews

Les professionnels du secteur semblent à bout de souffle, on observe régulièrement des manifestations où ils dénoncent leurs conditions de travail. Avez-vous prévu dans votre prochaine réforme des solutions pour les améliorer et valoriser ce secteur ?

J’ai pu mesurer au cours de mes nombreuses visites d’EHPAD, encore récemment à l’occasion des deux derniers épisodes caniculaires de cet été, l’extraordinaire dévouement des personnels travaillant dans les établissements. Je n’oublie pas non plus celui des intervenants à domicile que ce soit auprès de nos aînés, comme des personnes vivant avec un handicap.

Les difficultés auxquelles sont confrontés les personnels travaillant dans les EHPAD ou à domicile sont réelles. Il nous faut y répondre dans le cadre du projet de loi sur le Grand âge et l’autonomie que je présenterai avant la fin de cette année.

Ces difficultés sont de deux ordres :

La première tient d’abord au fait que notre pays n’a pas assez promu des modes d’hébergements adaptés à la perte d’autonomie ( je pense ici à l’habitat inclusif) qui constituent autant de solutions intermédiaires entre le domicile de la personne âgée et l’EHPAD. Il nous faut accélérer la construction de ces logements dont certains incluent une offre de services à domicile. Ces solutions présentent en outre l’avantage de lutter contre l’isolement des personnes âgées dont nous connaissons les effets sur leur bien-être, donc, à terme sur leur autonomie ;

La deuxième difficulté est liée à l’évolution du profil des personnes âgées entrant aujourd’hui en EHPAD dont le niveau d’autonomie est sensiblement plus dégradé qu’avant. Leur prise en charge par les personnels est donc plus complexe et physiquement plus éprouvante. Pour répondre à ce défi, nous devons recruter des agents dont les formations et les perspectives de carrière doivent être revues. C’est tout l’enjeu de la mission que j’ai confiée en juillet dernier à Madame Myriam El Khomri qui me remettra son rapport à la mi-octobre.

Les Français n’ont pas tous les moyens de financer une admission en EHPAD, quels sont les leviers qui peuvent permettre de faciliter l’accès à ce type d’établissement ?

Le rapport Libault a fait des propositions pour diminuer le reste à charge des personnes âgées résidant en EHPAD disposant de revenus modestes. Nous étudions actuellement très sérieusement cette proposition et les conditions de son financement. Nous devons cependant associer étroitement les conseils départementaux à nos travaux dans la mesure où les Départements, aujourd’hui compétents dans le champ de l’Autonomie, sont chargés de la tarification de la partie « hébergement » mais aussi du volet « Dépendance » des EHPAD. Je rappelle que l’État, plus précisément l’Assurance maladie, ne finance que les soins prodigués aux personnes âgées prises en charge en EHPAD.

Au-delà de la baisse du reste à charge des dépenses supportées par les résidents en EHPAD, et dont je mesure le poids pour les familles, la réforme du Grand âge et de l’autonomie devra permettre, à terme, une simplification du mode de tarification des EHPAD objectivement illisible pour les résidents mais aussi pour les financeurs (Assurance maladie et Départements).

Le maintien à domicile semble une étape ultime en termes d’accompagnement à la perte d’autonomie avant d’envisager une entrée en EHPAD : Quels dispositifs peut-on espérer pour les personnes âgées et leurs aidants afin de faciliter et adapter cette organisation de vie avec les professionnels de santé ?

Le maintien à domicile est plébiscité par les Français. La réforme que je présenterai à la fin de cette année devra donc être à la hauteur de cette attente de meilleure prise en charge des personnes âgées mais aussi des personnes vivant avec un handicap à domicile. Cette réforme de la prise en charge des personnes en perte d’autonomie vivant à domicile, à laquelle j’associe pleinement Sophie Cluzel, secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, devra répondre à trois grands enjeux :

1- Le premier concerne d’abord les services d’aide à domicile auxquels nous devons, avec les Départements en charge de leur tarification et du financement de l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA), apporter plus de garanties sur l’exercice même de leurs missions auprès de 760 000 personnes quotidiennement. Nous devons en particulier redéfinir notre partenariat avec les conseils départementaux pour faire évoluer progressivement les tarifs des services d’aide à domicile. Ces derniers devront être la fois soutenables financièrement pour les personnes mais aussi pour les services, afin qu’ils puissent recruter et fidéliser leurs salariés, en particulier dans les territoires ruraux. Mais comme en EHPAD, nous devons aussi veiller à revaloriser les métiers et des rémunérations des personnes intervenant à domicile. C’est aussi l’un des grands enjeux de la mission confiée à Madame El Khomri ;

2- Permettre de mieux prendre en charge les temps de coordination avec les services prodiguant des soins à domicile qu’il s’agisse des soins infirmiers ou de l’hospitalisation à domicile. De ce point de vue, les Services Polyvalents d’Aide et de Soins à Domicile constituent une réponse qu’il nous faudra regarder et évaluer très prochainement ;

3- Le troisième enjeu concerne l’évolution de l’habitat lui-même. La réforme du Grand âge et de l’autonomie devra faciliter l’adaptation du logement à la perte d’autonomie de la personne qu’il nous faut mieux anticiper. Les solutions de financement des travaux d’adaptation du logement (salles de bains…) doivent pouvoir être mobilisées. Nous y travaillons actuellement avec Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. Au-delà, le projet de loi devra rendre possible la construction d’habitats inclusifs qui permettent de mutualiser des services d’aide à domicile, en particulier dans des territoires où les personnes âgées supportent mal leur isolement. Des solutions existent déjà ; il nous faudra les encourager.

De plus en plus de Français deviennent des aidants malgré eux, avec des droits et des devoirs. Ils ne sont pas toujours capables d’assumer ce rôle. Physiquement, financièrement et même psychologiquement. Que peuvent-ils attendre de la prochaine loi ?

Les aidants ne peuvent être les « oubliés » de notre système de protection sociale et plus largement de nos politiques de solidarité, comme l’a souligné le Président de la République, dans son allocution du 25 avril dernier. Le Premier Ministre, dans son discours de politique générale du 12 juin, a réaffirmé le besoin de mieux accompagner les aidants de personnes âgées, de personnes en situation de handicap ou de malades chroniques. Avec Sophie Cluzel, sans attendre l’examen du projet de loi sur le Grand âge et l’autonomie présenté, à l’automne, nous souhaitons, un plan de mobilisation nationale en faveur des proches aidants, en association forte avec les champs de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la jeunesse ou encore du travail.

Quels enseignements tirez-vous du récent rapport Libault ?

Le rapport Libault, par ses constats et préconisations, constitue pour le gouvernement un document de référence d’une grande qualité. Son plus grand mérite est d’avoir alerté sur les faiblesses actuelles de notre système de prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie – à domicile comme en établissement – qui n’est pas adapté au défi démographique auquel notre pays devra faire face d’ici 2030. Selon, le rapport Libault, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie devrait augmenter de 20 000 chaque année d’ici 2030, pour atteindre 40 000 entre 2030 et 2040. Mais le rapport Libault appelle surtout une réponse globale pour, demain, mieux prévenir et mieux accompagner la perte d’autonomie de la personne âgée, tant en ce qui concerne l’habitat, que les transports, la recherche, les métiers du « Grand âge et de l’autonomie » et l’apport des nouvelles technologies. Le rapport aborde également le sujet du regard que nous portons sur grand âge, ce qui renvoie à des enjeux forts de citoyenneté, de dignité et de bientraitance ou de bienveillance à l’égard des personnes âgées. La stratégie sur le « Grand âge et l’autonomie », qui s’inspirera du rapport Libault, est donc la définition d’un projet de société qui donne toute sa place à la personne en perte d’autonomie et respecte son libre choix.

Nous consacrons un dossier à l’informatique au service des personnes âgées. Nous savons qu’une partie des solutions à la crise du secteur se trouve dans la révolution numérique. Quelles seront les orientations pour le secteur ?

Les innovations technologiques constituent un fantastique gisement de solutions pour améliorer le quotidien de la personne en perte d’autonomie où qu’elle vive. Si je prends l’exemple de la télémédecine ou de la consultation, leur développement contribuera à gommer en partie les inégalités d’accès à des professionnels de santé pour la personne âgée à domicile ou vivant en établissement. L’enjeu est, ni plus, ni moins, de mieux capter les « signaux faibles » de la perte d’autonomie qui doivent conduire à limiter les hospitalisations.

Il nous faut aussi assurer un continuum avec la Silver économie en mobilisant utilement les innovations technologiques, pour améliorer l’évaluation globale de la personne âgée tant à domicile qu’en établissement, dès lors que l’innovation a fait la preuve de son utilité. Ce point est essentiel car notre pays doit, de ce point de vue, mieux structurer sa capacité à « fabriquer » de la preuve du bénéfice de telle ou telle innovation pour la personne en perte d’autonomie. Ce sera un des enjeux forts de la « Stratégie Grand âge et autonomie ».

Concrètement, qu’est ce qui va changer pour les Français avec l’évolution du système de retraite ?

Aujourd’hui, la retraite est un casse-tête, une injustice et une angoisse. Un casse-tête pour comprendre ce à quoi on a droit, une injustice parce que les inégalités sont fortes et les pensions faibles pour certains (notamment les femmes), une angoisse pour tous les Français qui travaillent et qui pensent qu’ils n’auront pas de retraite parce que le système est déséquilibré. La réforme des retraites à venir poursuit un objectif majeur d’équité ; elle se veut universelle et juste : chaque Français qui travaille doit avoir la certitude que ses cotisations lui permettront d’avoir une retraite décente et équitable par comparaison avec un autre salarié ayant eu une carrière comparable. Notre ambition est de garantir à chacun qu’un Euro cotisé donne les mêmes droits à pension et que chacun comprenne aisément ce sur quoi il pourra compter une fois à la retraite. Nous maintiendrons le système par répartition et la solidarité entre les générations. Nous tiendrons compte des « accidents » de carrière que de nombreux salariés connaissent comme des événements de la vie qui éloignent de l’emploi, temporairement ou de manière permanente. Le Haut Commissaire à la réforme des retraites nous a remis son rapport avec de nombreuses préconisations. Nous allons maintenant entamer des discussions avec les partenaires sociaux et proposer aux Français de participer à une consultation pour recueillir leurs avis. Dans notre pays, toutes les politiques d’accompagnement de la longévité doivent converger : plan grand âge et autonomie et système universel des retraites, que ce soit entre autres à travers les politiques de préservation de l’autonomie de la personne âgée, de promotion de l’emploi ou du pouvoir d’achat des personnes âgées…

Un mot pour la profession ?

Comme l’a rappelé avec force le Premier Ministre dans son discours de politique générale, le 12 juin dernier, la réforme du Grand âge et de l’autonomie sera « un autre marqueur social de ce quinquennat. Peut-être un des plus importants ». Cette réforme ne sera complète si nous n’apportons pas de réponses concrètes pour soutenir les professionnels et aux aidants qui interviennent quotidiennement auprès de la personne en perte d’autonomie. Notre pays doit être à présent à la hauteur de leur dévouement tout à fait exceptionnel que je connais.

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