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Amour et sexualité en Ehpad, pourquoi tant de gêne ? Non classé

Sexualité tabou


Impossible de traiter des rapports humains en Ehpad sans aborder la question des sentiments et celle, sous-jacente, de la sexualité des personnes âgées. Il s’agit là encore d’un droit fondamental, acté dans divers textes de loi mais pas forcément admis et accepté, loin s’en faut. Une question ô combien délicate tant elle touche à l’intimité et peut nous renvoyer à notre propre pudeur.

Pour Claude Plassard, gériatre au Centre hospitalier intercommunal Châtillon-Montbard en Côte-d’Or et consultant en sexologie, le constat parle de lui-même : « Bien que des études montrent qu’un tiers des couples de plus de 50 ans n’a plus de rapports sexuels, la sexualité fait partie intégrante de la vie même à un âge très avancé. Et cessons les fantasmes : au grand âge, la sexualité rime plus souvent avec affectivité et partage pour rompre la solitude qu’avec débauche et pornographie ! » C’est effectivement une réalité : des couples se créent en Ehpad. Ils s’en créent à tout âge, pourquoi en serait-il autrement en fin de vie ? Le Docteur Plassard poursuit avec facétie : « La personne âgée, quels que soient son âge et son sexe, a le droit d’aimer. L’amour est l’antidépresseur le plus efficace ! » Léa, infirmière en Ehpad, renchérit : « Un amour qui voit le jour en institution est quelque chose de très positif : c’est un lien véritable entre deux personnes et, parfois, pour certains, le seul vrai lien authentique. L’expérience montre que, bien souvent en Ehpad, ceux qui ont un compagnon ou une compagne s’épanouissent. Il est fondamental de préserver cela. »

Accepter la relation

Mais cette réalité peut être parfois difficile à affronter pour les professionnels comme pour les familles, d’autant que cela renvoie à des thématiques sociétales très fortes telles que la nudité, a fortiori celle des corps vieillissants. Ce que confirme le Docteur Plassard : « Les soignants ont souvent du mal à imaginer leurs parents faisant l’amour. Alors… l’imaginer pour quiconque après 60 ans ! La seule façon d’avancer sur ce sujet passe par la tolérance et la formation des personnels sur la sexualité du sujet âgé avec des réunions de synthèse pour évoquer le comportement amoureux chaque fois que nécessaire. Le tout en protégeant toujours nos résidents vulnérables. »

 

« Cela ne regarde pas les soignants ! »

Un propos partagé mais nuancé par Léa : « C’est compliqué car cela peut renvoyer à sa propre sexualité, celle de ses parents, voire de ses grands-parents. Et une certaine gêne est d’ailleurs perceptible chez les professionnels confrontés à ce genre de situation : ils en rient et font des commentaires. Parfois, il peut y avoir un réflexe moralisateur. Pourtant, cela ne
regarde pas les soignants ! Il ne s’agit pas de leur propre vie de couple. La seule chose fondamentale qui doit importer au soignant est de chercher à percevoir si les deux protagonistes d’une relation sont consentants. Plus qu’une formation, il faut des espaces de parole et d’échange pour comprendre pour
quoi et en quoi cela peut leur poser problème ou les déranger. »

La sexualité, une question qui ne laisse personne de marbre et doit être abordée avec les familles des résidents. « Quand une relation se noue en Ehpad, elle peut être très mal accueillie par l’entourage, les enfants ou le conjoint légitime le cas échéant. Or, les soignants sont fort démunis face à cela alors que ce sont souvent eux qui vont être en première ligne et « attaqués ». C’est peut-être sur cette question qu’une formation se révèlerait nécessaire pour savoir répondre et rassurer la famille sans rentrer dans l’agressivité qui peut être latente », suggère Léa.


L’intimité en pratique

Le Dr Claude Plassard s’en désole : « En Ehpad, les locaux ne se prêtent guère au rapprochement ! Des chambres qui ne ferment pas, des lits de petite taille, des matelas non adaptés, des ridelles et des potences… » Pourtant, il est possible d’y remédier. Au Québec, par exemple, il existe des « chambres d’amour » dans les Ehpad, réservées aux couples et… qui ferment à clé, leur garantissant une parfaite intimité. Une autre initiative, en France notamment, consiste à mettre à disposition des résidents des petites pancartes à poser sur la poignée de la porte pour signifier son désir de ne pas être dérangé, tout comme dans un hôtel. D’autres établissements, enfin, mettent à disposition de leurs résidents des moyens contraceptifs. Autant d’initiatives garantes de ces droits inaliénables à l’intimité et à la sexualité. Reste à changer les mentalités et… à commencer par frapper avant d’entrer !



Entre juridique et éthique

Si elle ne saurait être remise en cause, la sexualité des personnes âgées en Ehpad suscite néanmoins légitimement un certain questionnement d’un point de vue juridique. Thierry Casagrande, Directeur juridique chez Analys Santé, apporte un éclairage.

« Il n’y a pas de cadre légal spécifique à l’Ehpad mais deux types de règles qui régissent la question. Les premières s’appliquent pour tous et sont liées aux libertés individuelles : il s’agit de la Constitution, de son Préambule et du Code civil qui prévoient notamment le droit au respect de l’intimité. Par ailleurs, il existe des textes qui concernent plus spécifiquement le secteur médico-social dont la loi du
2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale qui apporter un cadre général et précise les obligations des établissements dont celle d’informer les résidents et d’élaborer un certain nombre d’outils documentaires comme le projet d’établissement ou le projet personnalisé. Ils contribuent à définir le contour du respect de l’intimité par l’établissement et les pratiques de ce dernier. Enfin, il y a des chartes qui concernent plus spécifiquement cette thématique maidont la portée juridique n’est pas significative.

« La sexualité est une liberté avant même d’être un droit »

D’un point de vue juridique et éthique, il est accepté par tous que les résidents ont des droits dont celui du respect de l’intimité. Mais sait-on bien ce que cela signifie en Ehpad ? Il y a souvent confusion entre intimité de l’espace privé et intimité de la vie privée et affective. Le cœur du problème est de savoir comment réellement reconnaître et mettre en œuvre ces droits, le tout en s’assurant du consentement, de la sécurité des résidents, de la non-immixtion dans les affaires de famille et le respect de la confidentialité. Et ce, même en cas de mesures de protection (tutelle, curatelle) : on pourrait en effet être tenté de rechercher l’accord du tuteur mais ce serait, du point de vue juridique, sortir du cadre. La sexualité est une liberté avant même d’être un droit : si des mineurs peuvent avoir des relations sexuelles entre eux ou bénéficier de la confidentialité de la prescription de contraceptifs sans l’autorisation des parents, pourquoi des majeurs, quel que soit leur âge, ne le pourraient-ils pas ? Stop à l’infantilisation. À l’établissement de poser un cadre de respect des libertés et des choix de chacun. »



Quid de la charte affective ?

Certains ne veulent pas en entendre parler au nom de la liberté de choix et du droit à l’intimité et à la sexualité. Mais d’autres, à l’instar de Thierry Casagrande, la recommandent : « La réponse à la question de la vie intime en établissement ne doit pas être une question personnelle : c’est aussi une question institutionnelle. Il est très important que cette dimension du respect soit travaillée et actée, par exemple dans une charte, et inscrite dans les outils documentaires tant internes à l’équipe que d’information des tiers tels que les familles. Et force est de constater que ce travail fonctionne bien en pratique car il permet une réflexion et une approche spécifique à chaque équipe. Il peut déboucher sur un outil de communication public et publié. »


 

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