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Claudy Jarry, président de la Fnadepa Les interviews

Inventer à partir des attentes
et besoins des personnes âgées

La Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa), organise son 27e Congrès national les 12 et 13 juin prochains à La Grande-Motte. À cette occasion, son président, Claudy Jarry, fait le point sur la démarche de l’institution, sur ses attentes et sa vision de l’avenir des établissements. Il suggère également d’autres solutions à inventer. Avec un mot d’ordre : être avant tout au service des personnes âgées.

Propos recueillis par Grégoire Sévan

Ehpad Magazine : Comment la Fnadepa aborde-t-elle les problématiques du secteur ?

Claudy Jarry : Notre Fédération, notamment à la faveur de son congrès, mène une réflexion qui place la personne âgée au cœur de ses préoccupations. Cela peut paraître évident mais il est utile de le rappeler tellement la politique vieillesse ressemble parfois à de la politique ou à des arbitrages économiques et semble un peu éloignée des attentes et des besoins des personnes âgées. Notre Fédération aime à réfléchir à la personne âgée dans ce siècle, à ses attentes, à ses besoins et à ses aspirations. Ce qui nous amène à avoir un regard parfois différent de ce que l’on peut attendre classiquement d’une fédération de directeurs d’établissements et services.

C’est-à-dire ?

C.J : Nous ne sommes pas dans une attitude dogmatique qui consisterait uniquement à dire qu’il nous faut de l’argent. Ce n’est pas notre « porte d’entrée ». Nous nous efforçons de toujours partir de la personne âgée pour définir des besoins qui doivent aiguillonner les politiques vieillesse, elles-mêmes susceptibles de conduire à la mobilisation de fonds. Il faut se dégager des discours très corporatistes. Il est donc nécessaire de commencer par se poser des questions fondamentales sur les souhaits de « nos vieux ». Comment vivent-ils aujourd’hui ? Veulent-ils des Ehpad ? Veulent-ils de ces formes d’Ehpad ? Mais nous devons également nous poser la question de l’accessibilité des soins, en particulier en milieu rural, et celle de l’accessibilité financière particulièrement criante en ville.

EM : Qu’attendez-vous du nouveau pouvoir politique ?

C.J : Nous attendons du cinquième risque une meilleure accessibilité financière lorsqu’il s’agit des établissements et des services. Aujourd’hui, nous ne savons plus si les taux d’occupation parfois en berne dans les établissements sont le reflet d’un moindre besoin – nous n’y croyons pas -, d’une accessibilité financière difficile – sûrement – ou bien du rejet de la solution établissement. Il y a trois causes possibles mais c’est peut-être un mixte des trois. Nous demandons également de pouvoir porter le ratio d’encadrement à un niveau qui soit en adéquation avec les attentes. Il ne s’agit pas d’avoir plus de personnel pour le plaisir d’avoir plus de personnel mais il faut avoir du personnel en nombre suffisant pour répondre aux attentes qui sont aujourd’hui multiples. Il y a celles des pouvoirs publics qui émettent des recommandations multiples et sans fin, trop souvent déconnectées des moyens ; il y a aussi celles des personnes âgées elles-mêmes, celles des familles, parfois différentes, celles de la justice et des médias… Enfin, il peut y avoir des attentes fortes du personnel qui souhaite légitimement être plus nombreux pour travailler dans des conditions qui soient proches de l’éthique qui est la sienne. L’État comme les Conseils généraux n’ayant plus d’argent à mettre sur la table et le prix de journée ayant atteint un niveau qui ne peut être poussé plus haut, le cinquième risque devient la clé de ces aspirations diverses. Mais compte tenu de ce que nous sommes, vous ne m’entendrez pas réclamer uniquement plus de personnel ou d’argent. Nous voulons plus que cela. Pour nous, le cinquième risque doit permettre d’offrir plus de solutions aux personnes âgées en perte d’autonomie. Que ce soit des places dans les établissements, des services et des solutions innovantes qu’il faut pouvoir accompagner pour éventuellement les dupliquer. Ces solutions doivent exister également hors du champ du médico-social et de la loi du 2 janvier 2002. Nous plaidons par exemple pour une troisième voie.

E.M. : Quelle est cette troisième voie ? 

C.J : Il nous semble essentiel de mettre en place une politique globale de prise en charge de la perte d’autonomie, quel que soit l’âge. La barrière de l’âge doit disparaître et intégrer ce qui fait pour nous la troisième voie, à savoir la politique du logement, l’aménagement des centres-villes notamment en terme d’accessibilité, ainsi que l’accessibilité aux soins à la fois sur le plan économique et de la démographie médicale. Bref, une véritable approche globale. Cette voie doit également intégrer un volet social. Il faut que les personnes âgées en perte d’autonomie aient un logement adapté dans un environnement adapté et accessible mais également qu’elles soient dans un environnement social porteur. Il ne faut pas les isoler. Cette troisième voie permettra d’avoir des réponses moins coûteuses pour l’usager mais aussi pour la société.

E.M. : C’est une position étonnante pour un président de fédération de directeurs d’établissements !

C.J : S’il faut bien sûr des établissements et des services, il faut aussi imaginer des logements sociaux adaptés à des coûts accessibles. Nous avons beau diriger des établissements ou des services, nous ne sommes jamais là que pour satisfaire les attentes des personnes âgées. Aujourd’hui, je dirige un établissement. Mais si demain, l’avenir est résolument au domicile, je n’aurai aucune réticence à m’y consacrer. Nous avons à notre disposition un certain nombre d’instruments. C’est bien mais il nous faut absolument imaginer d’autres voies. Répondre aux problématiques posées par notre société aujourd’hui et plus encore demain avec des solutions d’hier, même adaptées à demain, c’est l’assurance de passer à côté des enjeux majeurs.

E.M. : Outre les nouvelles voies à inventer, les Ehpad resteront-ils un élément de l’offre médico-sociale ? Quels sont les principaux défis qu’ils devront relever ?

C.J : Les établissements sont amenés à bouger sur les deux lignes fondamentales que sont le modèle économique et le modèle d’accompagnement. Concernant le modèle économique, on sait qu’il faudra plus d’argent mais aussi que l’argent ne règlera pas tout. Penser à dépenser moins n’est pas insultant. Si nous ne le faisons pas nous-mêmes, ce seront l’État et les départements qui nous forceront la main. Le modèle économique d’avenir est assurément celui du regroupement territorial, soit entre établissements et associations d’un même champ, soit avec d’autres acteurs du secteur médico-social comme ceux du handicap ou du domicile. Il y a des mutualisations à penser.
Le second volet est celui de l’adaptation de l’accompagnement. Nous pouvons être certains que nos structures accueilleront des personnes dont la perte d’autonomie sera de plus en plus importante. Outre ses formes classiques, l’émergence encore plus forte de la maladie d’Alzheimer va continuer à nous bousculer. Il faut sûrement aller plus loin que la création d’unités Alzheimer et imaginer nos structures sous forme de lieux de vie de douze personnes qui évoluent au gré des besoins. Ce n’est pas un nouveau concept mais il devient très pertinent. Cela permet de faire évoluer l’établissement par lieux de vie et ainsi de passer d’une unité Alzheimer à quatre ou cinq. Et puis avant Alzheimer, il y a eu Parkinson et après Alzheimer, il y aura peut être autre chose. L’idée est donc surtout d’intégrer une dimension nécessairement évolutive dans nos structures.

E.M. : Comment voyez-vous l’évolution de la médicalisation des Ehpad ?

C.J : L’Ehpad de demain va aussi devoir aller plus loin dans sa démarche de médicalisation. Se pose déjà la question d’une présence infirmière la nuit tout comme il n’est pas impossible que le rôle du médecin coordinateur évolue vers un rôle de médecin prescripteur au sein de la structure. Enfin, les établissements devront être des plates-formes techniques pour soutenir d’autres activités sur le plan médical, notamment le champ du domicile. Ils pourraient travailler avec les personnels du domicile et développer des formes d’accueil séquentiel, accueil de jour et accueil temporaire. L’établissement deviendrait alors une véritable ressource pour un territoire.

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