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Un défi organisationnel hautement humain Non classé


« Les technologies n’ont pas de réalité si
on ne pense pas aux services rendus à nps ainés. »
© Bluelinea.

Penser services et non pas technologie

Renforcer la sécurité des résidents et leur autonomie tout en dégageant du temps aux soignants pour favoriser le lien social, telle est la double mission de la technologie en Ehpad. Un défi à relever avec prudence afin d’éviter le rejet ou l’écœurement des uns et des autres.

Se pencher sur la question de la technologie, c’est prendre en compte les besoins des personnes âgées et considérer le travail des professionnels qui les accompagnent avec deux grands objectifs en ligne de mire : d’abord, sécuriser les résidents et les professionnels mais également garantir au mieux l’autonomie et la vie sociale et ouvrir l’établissement sur l’extérieur, comme l’explique Vincent Rialle, chercheur et Président de la Société française de technologie pour l’autonomie et de gérontechnologie (SFTAG) : « Dans les Ehpad, la technologie peut apporter ce qu’elle apporte partout ailleurs, à savoir du lien social si tant est que les personnes âgées aient la capacité de s’en servir. Mais il ne faut pas forcer la main, sinon de la crainte est naturellement ressentie. Cela peut être très positif si ce n’est pas une obligation. »

Mais que l’on se rassure, l’Ehpad tout technologique et entièrement robotisé n’est pas pour demain ! La technologie doit rester un outil au service de la bientraitance sans devenir une fin en soi. Ce que confirme Patrick Mallea, Directeur du CNR Santé (Centre national de référence santé à domicile + autonomie) : « Je revendique le fait de dire qu’il y a peu d’intérêt à parler de technologie car ce dont nous avons besoin, c’est de services. Les technologies sont des outils pour pouvoir faire mieux mais elles n’ont pas de réalité si on ne pense pas aux services rendus à nos aînés. »

Veiller, pas surveiller. L’arrivée de la technologie en Ehpad induit une certaine méfiance, par ailleurs légitime, car, comme le rappelle Patrick Mallea, « avant toute chose, l’Ehpad est un monde vivant… » et la technologie peut sembler impersonnelle. Un propos confirmé par Alain Seknazi : « La prise en charge du patient ne doit pas être gênée par tous ces outils technologiques. Aujourd’hui, il n’est absolument pas question de faire un système du type Big Brother qui envoie des informations dès que quelqu’un bouge une oreille. La technologie doit nous permettre d’avoir une veille sécuritaire. Le but n’est pas de tout savoir sur tout le monde mais de penser des outils intelligemment utilisés. » Ainsi, certains systèmes, notamment de veille nocturne ou de géolocalisation, peuvent permettre aux soignants de se consacrer aux besoins immédiats des résidents au lieu de se conformer à un protocole établi et protecteur de risques éventuels mais parfois bien éloigné de la réalité.

Laisser le moins attrayant à la technologie. Les acteurs du secteur restent lucides : la problématique des effectifs en Ehpad est réelle. « Si l’on avait plus de moyens humains, ce serait évidemment mieux », confirme Alain Seknazi, Directeur général adjoint du secteur médico-social chez Domus Vi et médecin. Et de résumer : « Sécuriser des professionnels dont le métier est difficile, les aider à être plus disponibles pour ceux qui en ont besoin au moment où ils en ont besoin, leur éviter de s’éparpiller dans des tâches redondantes et lassantes au point d’en devenir inutiles, voilà ce que la technologie peut apporter. Autrement dit, laisser les professionnels se concentrer sur l’essentiel – l’humain, la proximité avec le résident qui en a besoin quand il en a besoin – et abandonner le reste à la technologie », tel semble être le juste équilibre à trouver pour faire de la technologie l’alliée d’une relation sereine entre l’établissement, les résidents et les tiers (familles, proches, aidants…).

Un maître-mot : la mobilité. C’est en effet, selon Jean-François Goglin, conseiller national en système d’information de santé à la Fehap, le premier levier de la technologie : « Inévitablement, il faut être sur le terrain. L’usage de tablettes qui permettent de communiquer entre les équipes, par exemple, est un bon vecteur de gain de temps. Dans un établissement, permettre aux professionnels, qui circulent et doivent être mobiles, de rester connectés, d’échanger, d’accéder à des plans de soins ou d’échanger des transmissions, c’est leur garantir une sécurité dans leur tâche et la leur faciliter. »

Rompre l’isolement. Ainsi ne faut-il pas négliger les possibilités qu’offre la technologie aux résidents de garder un contact précieux avec le monde extérieur à l’Ehpad :
Consoles, plates-formes de jeu, accès à Internet… : tous ces moyens technologiques permettent de rompre l’isolement de certains résidents. Ce sont des outils créateurs de lien social et de joie »,
assure Jean-François Goglin. « Il y a certes pour l’instant une légère fracture numérique car nos résidents ne sont pas habitués à se servir de ces technologies. Il faut donc parfois en susciter l’envie chez certains d’entre eux (ce qui sera de moins en moins le cas pour les générations futures plus « connectées », N.D.L.R.), ce qui nécessite évidemment du personnel pour aider et surveiller, renchérit Alain Seknazi. Toutefois, quand on voit que les technologies actuelles permettent à l’un de visiter virtuellement le monument qu’il a toujours voulu voir, à l’autre de faire un pèlerinage virtuel dans la rue où il est né et au dernier de communiquer en images avec son petit-fils qui vit au Canada, c’est magique. Il y a des moments d’émotion extraordinaire que la technologie apporte. En priver les résidents aujourd’hui, avec les moyens dont on dispose, est inenvisageable. »

À cela s’ajoutent les outils technologiques qui mêlent dimension ludique et stimulation cognitive, en théorie créateurs de lien social et stimulants intellectuels. Mais, là encore, il convient de nuancer : « Il faut avant tout s’adapter aux besoins des personnes âgées. Les jeux que l’on a vu fleurir sur différentes consoles peuvent être utiles mais pas pour tous ni de la même manière ni à la même échelle… Et surtout, les résidents en ont-ils seulement envie ? », s’interroge Linda Benattar, Directrice médicale du groupe Orpéa.

Rien ne remplacera jamais l’humain. « On demande en premier lieu (aux gérontechnologies, N.D.L.R.) de ne pas chercher à remplacer des humains par des technologies », préconisait déjà Vincent Rialle dans son rapport en 2007. La déshumanisation liée à la technologie à outrance est en effet une grande crainte que Christophe Delas, Directeur général délégué de la direction Stratégie et Développement du groupe Colisée, tempère : « Il n’y pas substitution : en aucun cas, ce qu’apportent les professionnels ne peut être soumis à une dimension digitale ou numérique. Il faut seulement un peu de temps pour s’approprier les outils, tant pour les personnes âgées que pour les professionnels. Mais cela ne saurait supplanter l’action humaine. » L’enjeu des années à venir semble donc d’apprivoiser la technologie en formant les aidants et en éduquant les résidents.

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